Castel Gandolfo, le 11 février 2005

Mesdames, Messieurs, chers congressistes,

C’est une joie pour moi de pouvoir m’adresser à vous et de vous saluer un à un. Je viens vous proposer quelques réflexions sur le sujet de votre congrès : « Relations sociales et fraternité : paradoxe ou modèle soutenable ? »
L’un des premiers effets qu’a eu le charisme accordé au mouvement des Focolari a été une sorte de nouvelle révélation de la vérité que Dieu est amour. Nos yeux se sont ouverts et, malgré la fureur de la guerre (c’était à Trente en 1943), nous avons découvert partout la présence aimante de Dieu : dans notre quotidien, dans les événements joyeux et rassurants, dans les situations tristes et difficiles…
Cette foi profonde et indéfectible en Dieu amour a immédiatement suscité un lien profond et très fort entre nous, premiers focolarini et focolarines. Nous nous sommes sentis fils et filles du Père qui est aux cieux et, par conséquent, frères et sœurs entre nous.
De plus, le commandement que Jésus appelle « sien » et « nouveau » « Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés » (Jn 13,34) nous est apparu comme la synthèse du projet de Dieu. Ce fut une conséquence logique de nous promettre réciproquement d’être la réalisation vivante de ce commandement et de le mettre à la base de notre vie.
C’est ainsi qu’un nouveau style de vie naissait dans l’Église, une spiritualité personnelle, bien sûr, mais aussi communautaire, qui correspondait bien aux exigences de notre temps caractérisé par l’accroissement des relations interpersonnelles et par l’interdépendance des peuples.
Dieu se manifestait à nous pour ce qu’il est vraiment : amour. En même temps il se révélait Amour en lui-même : Père, Fils et Esprit Saint. Le dynamisme de sa vie intratrinitaire nous apparaissait comme réciproque don de soi, vide mutuel d’amour, communion éternelle et totale. Dans l’Évangile de Jean on peut lire : « Tout ce qui est à moi est à toi. De même, tout ce qui est à toi est à moi » (Jn 17,10), tout circule donc entre le Père et le Fils dans l’Esprit.
Dieu a voulu que cette réalité se reflète dans les relations interpersonnelles. De même que le Père dans la Trinité est tout pour le Fils et que le Fils est tout pour le Père, de même – m’a-t-il semblé comprendre – moi aussi j’ai été créée en don pour ceux qui sont près de moi, et ceux qui sont près de moi ont été créés comme un don pour moi. C’est pourquoi la relation entre nous est l’amour, est Esprit Saint : le rapport même qui existe entre les personnes de la Trinité.
Immergés dans cette lumière, nous avons compris qu’ici-bas tout est en relation d’amour avec tout, chaque chose avec tout.

Toutefois, la plupart du temps, notre rationalité, notre sensibilité, ne sont pas capables de saisir cette vérité. Souvent nous ne sommes pas en mesure de voir la réalité dans son ensemble et nous sommes plutôt enclins à voir les difficultés dans les rapports sociaux marqués par les contradictions ou les conflits. Et il devient malaisé, dans notre société complexe, de reconnaître des relations de concorde, de communion.

Notre charisme nous a montré que la fraternité est à la fois un principe spirituel et une catégorie anthropologique, sociologique, politique, capable de déclencher un processus de renouveau global de la société.
L’amour fraternel suscite un peu partout des rapports sociaux positifs, aptes à rendre la vie en société plus solidaire, plus juste, plus heureuse.
Notre expérience de plus de soixante ans nous enseigne que ces relations fraternelles vécues dans le quotidien d’une vie personnelle, familiale et sociale, ou au sein d’institutions politiques ou de structures économiques, libèrent des ressources morales et spirituelles inattendues.
Ce sont des relations nouvelles, chargées de signification, qui suscitent toute sorte d’initiatives, qui créent des structures en faveur de l’homme et de la communauté.
Sur la base de notre expérience nous pouvons donc affirmer que la fraternité universelle n’est pas une utopie ni un beau désir louable encore qu’irréalisable. Non, c’est une réalité qui se fraye un chemin toujours plus large dans l’histoire.
On remarquera pourtant que les désaccords et les conflits existent dans la vie relationnelle de la société humaine à tous les niveaux. C’est sûrement la conséquence et l’effet du mystère du mal qui touche non seulement notre vie personnelle mais notre vie en société.
À ce sujet notre charisme nous a indiqué dès le début une clé de compréhension de ce mystère et en même temps un modèle pour surmonter tout manque d’unité : celui qui a recomposé l’unité entre Dieu et les hommes et des hommes entre eux.
C’est Jésus qui, sur la croix, s’écrie : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? »(Mc 15,34 ; Mt 27,46). Dans le cri déchirant d’un Dieu qui se sent abandonné de Dieu, toute souffrance, toute douleur, tout manque d’unité est contenu, assumé et transformé en amour.
Jésus est venu sur la terre pour donner sa vie afin « Que tous soient un ».
Jésus, dans son abandon, a payé pour y parvenir. Il nous demande de collaborer pour réaliser cela dans le quotidien.
Je souhaite à tous les participants à ce congrès que ces journées soient l’occasion de construire d’authentiques rapports de fraternité, pour que la réflexion intellectuelle s’appuie sur une authentique expérience de vie communautaire.
Mon souhait est que Marie, la mère du bel amour, qui a appris de son Fils le message de la fraternité universelle ; qui s’est rendue chez Élisabeth pour lui rendre service ; qui, avec le Verbe fait chair et ses disciples, a suscité, en tant qu’authentique « personne sociale », une famille où l’amour unit, éduque, circule et déborde sur tous ; que Marie, donc, éclaire et guide ce Congrès.
Dans l’amour fraternel,

Chiara Lubich

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