Ils étaient environ 250 (chrétiens, humanistes, de nombreux musulmans, des juifs, et quelques représentants d’autres religions) à suivre avec attention l’introduction de Annie Hesius, sociologue, sur la fraternité comme chance et défi pour la société de demain. Le forum n’avait donc pas comme objectif de poser l’une ou l’autre thèse à défendre, mais plutôt de créer la possibilité de s’interroger ensemble en profondeur, sur la base des valeurs qui nous sont communes.
A. Hesius a expliqué que, contrairement aux deux autres principes prônés par la Révolution française (l’égalité, la liberté), la fraternité a trouvé jusqu’ici peu d’applications dans la vie de nos sociétés. Elle n’est certes pas une question de sentimentalisme mais plutôt le fruit d’une tension continue à voir l’autre comme un autre moi-même et à le traiter en conséquence. Etre de bonne foi et grandir dans un amour capable d’aller au-delà de certaines limites constituent des facteurs qui garantissent le développement de relations réussies entre les personnes et les groupes.
Un montage vidéo a illustré les moments forts vécus par le Mouvement des Focolari dans le domaine du dialogue interreligieux, depuis la fin des années ’70. Les rencontres que Chiara Lubich, la fondatrice du Mouvement, a eues avec des personnalités bouddhistes, musulmanes, juives et hindoues ont été à l’origine de rapports de confiance et d’amitié, créant des espaces de fraternité un peu partout dans le monde.
Le dialogue interreligieux, une nécessité vitale
Mohammed Boulif, consultant en économie musulmane, et Albert Guigui, le Grand Rabbin de Bruxelles prennent ensuite la parole. Le public est impressionné par ce qu’ils partagent : leur vision du dialogue en général et également dans le cadre des contacts avec le Mouvement des Focolari, leur participation en 2005 à deux symposiums internationaux, l’un judéo-chrétien et l’autre islamo-chrétien, organisés par le Mouvement des Focolari.
M. Boulif souligne l’importance de privilégier ce qui nous rapproche, pour pouvoir arriver à une connaissance approfondie et à un enrichissement mutuel. Dans cette dynamique, la sincérité est de rigueur. En guise d’illustration l’ex-président de l’Exécutif des Musulmans a repris ce que des amis musulmans d’Algérie lui avaient confié : les contacts avec leurs amis chrétiens des Focolari leur ont permis de découvrir leur religion plus en profondeur. M. Boulif a plaidé pour un « dialogue du peuple », à engager « dans la permanence ». Un dialogue indépendant des pressions de minorités auxquelles les responsables politiques sont bien souvent soumis. En Belgique, les efforts entrepris dans ce sens commencent à porter des fruits certes limités encore mais durables.
En faisant allusion au récit biblique de Caïn et Abel, le Grand Rabbin Guigui a illustré le fait que l’absence de communication est bien souvent la source de tout conflit. La solution : le vrai dialogue qui implique la compréhension de l’autre et se situe « à l’abri des idées préconçues ».
Il a également évoqué le sujet brûlant du fanatisme religieux. Alors que le croyant se met au service de Dieu, le fanatique met Dieu à son service. A l’opposé du fanatisme se situe l’attitude de celui qui accepte l’autre tel qu’il est et non tel qu’il veut qu’il soit. « La survie passe par le dialogue », a dit le Grand Rabbin avec force et conviction.
Les clés du dialogue
Dans la deuxième partie du forum, Paul Lemarié du Centre international du dialogue interreligieux du Mouvement des Focolari, a approfondi les clés du dialogue, les conditions qui permettent de construire des ponts entre croyants de différentes religions. Il a partagé son expérience personnelle – il a vécu 25 ans en Algérie et au Proche-Orient – au cours de laquelle les contacts avec des musulmans et des juifs l’ont amené à redécouvrir ou approfondir certains aspects de sa foi catholique. Paradoxalement, le dialogue interreligieux renforce en chacun sa croyance, tout en s’ouvrant à celle de l’autre. Ne faut-il pas une forte motivation pour arriver à construire un tel dialogue? Cette motivation réside dans ce que P. Lemarié a appelé l’art évangélique d’aimer : un amour qui pousse à prendre l’initiative, à considérer l’autre comme un autre soi-même, à aimer d’un amour gratuit et concret. C’est un art qui demande beaucoup d’exercice et d’engagement, un art qui élève le dialogue à un niveau tel que les fruits sont multiples et ouvrent toujours de nouveaux horizons. Tel un avion qui pour décoller consomme une énergie considérable, mais continue ensuite sa vitesse de croisière sans trop d’efforts.
P. Lemarié a conclu en disant que personne aujourd’hui ne peut dire où le dialogue nous mènera. A nous d’interpréter ce signe des temps et d’y donner une réponse.
Un élément poignant de son intervention, étaient aussi les extraits de témoignages de musulmans amis et membres du Mouvement des Focolari qui vivent cet aspect inhabituel du dialogue à l’intérieur même du mouvement, un dialogue mené à partir d’une spiritualité de communion.
L’éducation à la paix : un projet enthousiasmant
L’importance d’éduquer les jeunes générations au dialogue est évidente. Un groupe d’enfants de l’école St Joseph à Uccle avec leur enseignante Yolande Iliano ((présidente de la WCRP – Religions pour la Paix) a présenté ses projets de paix et de dialogue interreligieux. Entre autres ils ont mis sur pied un rassemblement de 1500 enfants (juifs, musulmans et chrétiens) de la commune d’Uccle en mars 2005 à l’occasion des « Tambours pour la Paix ». Ces enfants ont fini par remercier le public adulte de les prendre au sérieux. Communiquer-dialoguer-connaître-aimer, voilà les étapes qu’ils ont proposées à tous pour aboutir à un véritable dialogue. Leur témoignage enthousiaste et concret a touché l’assistance et a été relevé au cours de la table ronde qui a suivi : l’éducation au dialogue empêche tout fondamentalisme. Ce sujet a été approfondi durant le moment d’échange entre la salle et les intervenants. L’autre point d’échange a concerné la réaction à avoir face aux points sensibles du dialogue interreligieux et des violences qui le menacent parfois. Plutôt que des théories destinées à fonctionner comme recette miracle, ce sont les expériences vécues sur le terrain qui indiquent des pistes.
Mgr Van Cauwelaert, un des derniers témoins vivants qui ont participé à la totalité du Concile Vatican II, a rappelé, dans son intervention spontanée, que Jean XXIII avait souligné à la fin du Concile que l’unité nous est d’ores et déjà donnée, que d’une certaine façon nous sommes déjà un, même si cette unité n’est pas complète.
Appel à s’engager pour une culture de l’unité dans la diversité
Les co-responsables du Mouvement des Focolari pour la Belgique et le Luxembourg, ont conclu la rencontre en remerciant l’ensemble des participants de l’expérience de communion fraternelle vécue. Ils ont proposé à tous de s’engager à donner vie à une culture de la fraternité, du respect profond de chacun dans sa diversité de religion et de croyances. Pour conclure, ils ont rappelé la Règle d’Or qui est commune à toutes les traditions religieuses, et qui pour le christianisme s’exprime ainsi : « Traiter l’autre comme tu voudrais être traité toi-même » ou, comme Gandhi l’exprimait : « Toi et moi nous sommes Un. Je ne peux te blesser sans me faire mal à moi-même ».