Chère Eli, Chiara aurait aujourd’hui 90 ans. Pendant ce laps de temps, l’humanité a parcouru un chemin. Dans cette perspective, toi qui as été à ses côtés si longtemps, quelle est à ton avis la portée historique de Chiara ?

« Il me semble que Dieu, dans l’histoire, envoie à chaque époque un charisme correspondant à des besoins particuliers de l’humanité. A notre époque, il existe une tension à l’unité, politique, commerciale, etc. L’union européenne, l’ONU, le dialogue œcuménique en sont un témoignage. Le concile Vatican II a ouvert les portes aux autres Églises et aux autres religions. Pour le charisme de l’unité, on peut dire qu’il préexistait un contexte historique. Le charisme de Chiara, que l’on peut résumer par les paroles de Jésus : “Que tous soient Un” (Jn 17,21), est véritablement l’unité portée à sa dimension maximale : “tous Un”. Son charisme s’adresse à tous les enfants de Dieu, qui est Amour, voilà pourquoi tous sont faits pour aimer. Chiara, misant sur cette nature de l’homme, n’a eu de cesse de créer des relations avec tout le monde. Son intuition que c’est l’amour réciproque qui porte à l’unité a été une nouveauté : la découverte que l’on peut aller à Dieu ensemble, en communion, allant de plénitude en plénitude ! »

Le « don de prophétie » de Chiara a été plusieurs fois mis en évidence, même par les personnalités les plus éminentes de l’Église. Pourrais-tu nous donner quelques-unes de ses intuitions qui se sont, en un certain sens, réalisées ?

« Un fait : c’était tout au début du Mouvement, le jour de la fête du Christ Roi de l’univers. Elle a invité ses premières compagnes à demander ce qu’on lisait dans les Écritures : “…demandez et je vous donnerai toutes les nations en héritage…”. Et de son vivant, elle a vu cet esprit évangélique arriver dans 184 pays, c’est-à-dire presque dans le monde entier… Une autre nouveauté – sur les traces des Pères de l’Église – la présence de Jésus “là où deux ou trois se trouvent réunis” en son nom (Mt 18,20). La présence de Jésus entre elle et ses premières compagnes, qui comblait toutes leur aspirations, était une expérience toute nouvelle. De même la communion des biens et l’unité (seuls les communistes en parlaient), la Parole de l’Évangile (les protestants)… L’attitude d’ouverture et le souci de mettre en relief le positif des autres Églises en entamant un dialogue œcuménique ; le dialogue interreligieux aussi, et celui avec tous les hommes de bonne volonté… toutes choses qu’ont ensuite confirmées le Concile, puis les papes, et qui font maintenant partie de la vie de l’Église. Il y a aussi l’expérience vécue avec le peuple Bangwa en Afrique… (exemple de la nouvelle évangélisation), commencée dans les années soixante. Et aussi l’importance des laïcs pour “tracer la route” à l’Église institutionnelle, dans divers domaines humains. On peut ainsi mieux comprendre pourquoi Dieu a choisi une femme pour construire l’unité entre tous. “L’Œuvre de Marie – nous l’avons écrit dans les statuts, c’est voulu par Chiara et ratifié par l’Église – désire être, autant que possible, une présence de Marie sur la terre, presque sa continuation” (article 2). Sous ce désir, il y a sa forte expérience spirituelle. »

Quelle relation Chiara avait-elle avec les jeunes et que représentaient-ils pour elle ?

« Elle avait une relation privilégiée avec les jeunes parce qu’elle sentait qu’ils n’avaient pas besoin de perdre beaucoup de choses, comme peut-être les adultes. Elle les sentait plus libres et se trouvait bien avec eux, surtout avec les très jeunes. Elle croyait en leur nature non contaminée et entretenait avec eux une relation directe, simple et spontanée. Elle était heureuse de voir que les jeunes sont attirés par de grands idéaux, que tout leur semble possible. Car son idéal était immense, positivement utopique, et les jeunes se sentaient attirés. Elle a fait une “révolution” rien que dans la simplicité de sa relation avec eux, avec sa proposition toute normale de se réaliser en faisant la volonté de Dieu, de présenter la sainteté à la portée de tous. Elle recevait beaucoup de lettres des jeunes qui voulaient l’imiter en suivant Dieu, s’engager à vivre l’Évangile, à tout donner… C’est comme lorsqu’elle a lancé l’Économie de communion : elle est allée tout de suite trouver les jeunes étudiants et les a encouragés à bien se préparer pour pouvoir la développer. Quand elle a commencé son aventure, elle était toute jeune et entourée de compagnes encore plus jeunes qu’elle. En somme, elle a toujours eu une grande confiance dans les jeunes. »

A ton avis, que nous dirait Chiara aujourd’hui ?

« Elle nous dirait encore : aimez-vous les uns les autres, comme Jésus nous a aimés. Oui, je crois. »
 

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