L’entrée de Jésus à Jérusalem, entre les applaudissements et les rameaux, a une signification politique, non seulement parce que la foule reconnaît d’instinct, en lui, le chef du peuple, mais aussi parce qu’il est lui-même, chef pacifique, à affirmer en cette circonstance une valeur politique à son message.

En ce jour donc, tandis que les foules (aujourd’hui nous dirions : les masses) l’acclamaient Roi d’Israël, Jésus Christ, dans la descente du Mont des Oliviers, en voyant Jérusalem avec ses petites maisons blanches rassemblées autour du Temple resplendissant, au milieu de la joie de tous se mit à pleurer, et gémit : « Si toi aussi tu avais su, en ce jour, comment trouver la paix…! Mais hélas ! cela a été caché à tes yeux ! Oui, pour toi des jours vont venir où tes ennemis établiront contre toi des ouvrages de siège ; ils t’encercleront et te serreront de toutes parts ; ils t’écraseront toi et tes enfants au milieu de toi ; et ils ne laisseront pas en toi pierre sur pierre, parce que tu n’as pas reconnu le temps où tu as été visitée (Luc 19-44) ».[1]

Mais au contraire en ce jour, les chefs de la nation, contre le sentiment du peuple, ont rejeté son programme de paix pour confirmer leur programme de guerre. Ce jour-là, ils se résolurent définitivement à se débarrasser du Messie de paix, qui arrivait à Jérusalem chevauchant un petit âne, parce qu’ils lui préférèrent le héros écarlate de leur messianisme de guerre.

L’entrée avec les rameaux fut donc la célébration du messianisme pacifique, c’est à dire d’une politique sui generis qui fut aussitôt renversée par la politique de l’ancien genre : celle qui croyait (et même croira) en Dieu et en sa loi, mais faisait (et fera) encore plus confiance dans l’épée de ses propres soldats ; plus dans les chars armés que dans les annonces du Sinaï : cette politique folle et décadente qui inocule la guerre même dans les tractations de paix et qui transforme le peuple en armée, et la terre à labourer en champs de bataille.

La politique messianique de Jésus peut se résumer sous le nom de royaume de Dieu : c’est à dire un régime dont la constitution soit la loi de Dieu, et dont la fin comme le principe, reste Dieu. En elle, il organise le peuple en royaume : son propre royaume, et il le dirige sur le chemin de la paix. Ce royaume de Dieu se traduit aussi en une constitution sociale : sa loi est l’Evangile et comporte l’unité, la solidarité, l’égalité, la paternité, le service social, la justice, la raison, la vérité, avec la lutte contre la guerre, les vexations, les inimitiés, les erreurs, la stupidité…

Chercher le royaume de Dieu c’est donc chercher les conditions les meilleures pour l’expression de la vie individuelle et sociale. Et l’on comprend : là où règne Dieu, l’homme est comme un fils de Dieu, un être d’une valeur infinie, il traite les autres hommes et est traité par eux comme un frère, il fait aux autres ce qu’il voudrait qu’on fasse pour lui ; et les biens de la terre sont fraternellement mis en commun, l’amour circule avec le pardon, les barrières ne valent rien, parce qu’elles n’ont pas de sens dans l’universalité de l’amour. Chercher d’abord le royaume de Dieu, signifie donc élever le but de la vie humaine. En ce sens, pour nous aussi, Christ « a vaincu le monde ».

En dehors de cette signification, Jésus ne s’occupe pas de politique, les apôtres non plus. Mais dans leur enseignement sont inclus des principes qui, s’ils ne sont pas de politique concrète, immédiate ni de parti, sont assurément des lignes directrices de grande sagesse qui soutiennent le grand art universel de gouvernement de tout temps. Jésus ne touche pas les institutions existantes, mais il en change l’esprit, en changeant les sentiments des hommes. Il ne dit pas aux soldats de déserter, ni aux publicains de laisser la perception, ni aux membres du sanhédrin de démissionner du Grand Conseil : il leur dit d’accomplir leur fonction avec un esprit nouveau. Il ne fait pas de l’agitation, il fait la révolution. Et il la fait en l’esprit, là où précisément elle doit être faite.(Igino Giordani, Le Feste, SEI, Torino, 1954, pp. 104-110).


[1] Trad. TOB 2010

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