Dans le contexte de l’actuelle situation sociale internationale, ces quelques réflexions sur la famille et son devoir être peuvent apparaître utopiques et ingénues.

La culture de l’Occident, imprégnée d’individualisme, sépare en catégories les hommes et les femmes, et les considère comme des consommateurs dont elle doit stimuler les besoins. […]

Dans un contexte culturel marqué par l’individualisme et la recherche du profit, la famille est devenue très fragile. Ce sont surtout les familles socialement marginalisées qui se disloquent. […]

Face au grand mystère de la souffrance on est complètement déconcertés. La Bible nous présente une souffrance à son paroxysme, qui s’exprime par une interrogation, “ pourquoi ? ”, lancée vers le ciel. Dans le récit de la passion selon l’évangéliste Matthieu on lit : « Vers trois heures, Jésus cria d’une voix forte : ‘Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? ’ » (Mt 27, 46).  […]

Dans son abandon, manifestation ultime et maximale de son amour, le Christ s’anéantit complètement et peut ouvrir aux hommes la voie de l’unité avec Dieu et entre eux. Son interrogation : “ Pourquoi ? ”, restée sans réponse, devient pour chaque homme la réponse à ce qui l’angoisse. L’homme angoissé, solitaire, raté, condamné ne lui ressemble-t-il pas ? Chaque division familiale ou entre groupes et peuples ne reproduit-elle pas ce qu’il a lui-même vécu ? Celui qui a perdu le sens de Dieu et de son dessein sur l’homme, celui qui ne croit plus à l’amour et accepte à sa place n’importe quel produit de remplacement, ne lui ressemble-t-il pas ? Il n’y a pas au monde de tragédie, il n’y a pas d’échecs familiaux qui ne trouvent un écho dans la nuit vécue par l’homme-Dieu. […]

À travers le vide, le rien qu’est Jésus abandonné, les hommes ont été inondés de la grâce et de la vie de Dieu. Le Christ a refait l’unité entre Dieu et la Création, il a rétabli le projet, il a créé des hommes nouveaux et, en conséquence, des familles nouvelles.

[…] L’événement de la Passion et de l’abandon de l’Homme-Dieu peut devenir le point de référence et la source cachée qui permettent de transformer la mort en résurrection, les limites en chances pour aimer, les crises familiales en étapes de croissance. De quelle manière ?

[…] Mais si nous croyons que l’amour de Dieu est présent derrière la trame de nos existences, et si, forts de cette foi, nous savons reconnaître dans nos souffrances quotidiennes ou celles d’autrui, petites ou grandes, un aspect de la souffrance du Christ crucifié et abandonné, une participation à sa douleur qui a racheté le monde, alors il devient possible d’entrevoir le sens des situations même absurdes.

[…] Nous pouvons, pour prouver que c’est possible, proposer deux exemples emblématiques.

Claudette, une jeune femme française, avec un petit garçon d’un an, est abandonnée par son mari. Le milieu fermé de province où elle a grandi l’induit à demander le divorce. Entre-temps, elle a fait la connaissance d’un couple qui lui parle d’un Dieu particulièrement proche de ceux qui souffrent : « Jésus t’aime, lui disent-ils, lui aussi a été trahi et abandonné. Il peut te donner la force d’aimer et de pardonner. » Peu à peu, le ressentiment s’atténue et son attitude change. Son mari en est touché, et lors de la première audience devant le juge, Claudette et Laurent posent l’un sur l’autre un regard nouveau. Ils acceptent un délai de réflexion de six mois. Les contacts entre eux se renouent et quand le juge les convoque pour prononcer le divorce, ils refusent et redescendent les escaliers du tribunal la main dans la main. La naissance de deux autres petites filles va consolider le bonheur de leur couple qui a de profondes racines dans la douleur.

La deuxième expérience s’est passée ici en Suisse. Un jour, un fils de bonne famille avoue à ses parents qu’il est toxicomane. Tous leurs efforts pour le soigner sont vains. Désormais il a quitté le foyer familial. Des sentiments de culpabilité, de peur, d’impuissance, de honte envahissent ses pauvres parents. C’est la rencontre avec Jésus abandonné, dans cette plaie si fréquente de notre société.

Ils étreignent Jésus abandonné dans leur souffrance et il leur semble comprendre intérieurement que l’amour vrai partage avec l’autre la réalité qui est la sienne. Ces parents s’engagent à soulager ces souffrances. Avec un groupe de familles, ils portent régulièrement des sandwiches aux jeunes du Platzspitz, à l’époque, l’enfer de la drogue de Zurich. Un jour, ils rencontrent leur fils en guenilles et épuisé. Grâce à l’aide d’autres familles et au terme d’un long cheminement, ils parviennent à le libérer de sa toxicomanie.

[…] Parfois les traumatismes guérissent, les familles se réunissent. Parfois, rien ne change extérieurement, mais la douleur est transcendée, l’angoisse est apaisée, la rupture dépassée ; parfois la souffrance physique ou spirituelle est latente, mais elle acquiert un sens dans l’union à la Passion du Christ qui continue à racheter et à sauver les familles et toute l’humanité. Alors le joug devient léger.

La famille peut donc retrouver toute la splendeur du dessein originel du Créateur en puisant à la source de l’amour que le Christ a porté sur la terre.

Chiara Lubich

Extrait de Nuova Umanità, 21 [1999/5], 125, pp. 475-487

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