Un coup de poing dans l’estomac ! C’est l’effet produit par la lecture d’un livre dont le titre – L’inutilité de la guerre – est si éloquent qu’il place son lecteur le dos au mur. Et pourtant ces pages ont été écrites il y a exactement cinquante ans. Elles portent la signature d’Igino Giordani (1894-1980), homme politique, journaliste, écrivain et personnage de premier plan dans la vie ecclésiale et la vie italienne tout court.
La maison d’édition Città Nuova a décidé de reproposer l’ouvrage de Giordani (Rome 2003, 116 pages – 6,50€) en cette période de l’histoire où se fait plus que jamais sentir le besoin de paroles authentiques, claires et essentielles. Il est des œuvres – lit-on dans la préface – qui ont la saveur d’une actualité intemporelle. Inspirées certes par les circonstances, elles dispensent cependant un enseignement qui franchit la condition historique et se met au service de tout homme, en tout temps et en tout lieu. C’est de cette constatation qu’est née l’idée de publier à nouveau le livre écrit par Igino Giordani en 1953, quand la « guerre froide » figeait les positions géopolitiques et cristallisait le partage des consciences.

Aujourd’hui, le texte permet d’abord de se plonger avec le recul du temps dans l’atmosphère d’alors, tout en ayant entre les mains, si l’on peut dire, les morceaux du mur de Berlin : une expérience d’une immense portée historique et politique. Mais pour les heures délicates que nous vivons aujourd’hui, c’est un coup de poing dans l’estomac, parce que c’est une démonstration preuves à l’appui, de l’inutilité de la guerre et de son évidente stupidité intrinsèque.
Attention, Giordani sait de quoi il parle parce qu’au cours de la première guerre mondiale, son comportement au front lui a valu une décoration. Ce n’est pas un naïf. Il ne parle pas non plus par « lâcheté », accusation ridicule, mais courante, portée contre ceux qui se rangent du côté de la paix. Au contraire, les vrais courageux sont les constructeurs de paix et non ceux qui se réfugient derrière les missiles, canons et autres fusils. Giordani affirme clairement, en structurant son raisonnement, que la paix est le résultat d’un projet qui se réalise patiemment et sérieusement et non des mots en l’air ni un paravent pour cacher qui sait quels intérêts.

Les cent pages de ce livre touchent le lecteur parce qu’elles semblent écrites ce matin et non pas il y a cinquante ans. Vraiment l’histoire est « maîtresse de vie », selon l’antique adage. Dommage que les hommes soient trop souvent de mauvais élèves. Dès la première phrase du livre, Giordani met les points sur les i et oblige le lecteur à la souligner en rouge : « La guerre est un homicide à grande échelle ». Il met le doigt sur la rhétorique, sur le mensonge et sur les intérêts qui accompagnent tout conflit, quel que soit le lieu des combats : « Comme la peste sert à empester, la faim à affamer, la guerre sert à tuer ». Un point, c’est tout.

Tu peux être fier et garder tête haute, jeune catholique. Oui, tu te sens fier d’appartenir à une culture à laquelle ont contribué des hommes de cette trempe. Giordani n’était ni un marginal ni un radoteur. Giordani est l’un des nombreux personnages de premier plan du monde catholique qui ont contribué de façon décisive, parfois oubliée aujourd’hui, au développement du peuple italien, par des projets porteurs de vie et d’espérance. C’est un devoir enthousiasmant de connaître la pensée de ces hommes si proches de nous et d’une telle richesse spirituelle qu’ils ne passent jamais de mode.

Un ancien combattant des tranchées démontre que la guerre est inutile

Le livre de Giordani est si passionnant qu’il est difficile d’en interrompre la lecture. Après quelques pages, il faut déjà retailler son crayon, tant on éprouve le besoin de souligner presque chaque ligne. L’auteur est polémiste sans cesser d’être frère de tout homme, même de celui qui pense de façon diamétralement opposée. Il n’offense pas les hommes, mais en lutteur infatigable, en ancien combattant des tranchées, il s’élève contre la guerre et démontre son inutilité, sans lâcher prise.

Giordani a une manière très personnelle de s’exprimer, captivante et passionnée, issue du désir de communiquer ses idées. Il est en état de mission permanente. Il est au cœur de l’Église. Il n’est pas seulement écrivain, il est « au-delà » et « davantage ». Il sait choisir les mots justes et, au besoin, invente des expressions qui font mouche. Il a le langage caractéristique des mystiques et on retrouve dans ses paroles des échos des Pères de l’Église. C’est un livre d’histoire, un livre de vie, un livre de prière.

C’est un ouvrage qui prend parti contre la tentation de la résignation face aux décisions des puissants en place. Giordani soutient que toute personne est acteur de la paix. « Si tu veux la paix, prépare la paix » est son grand message destiné à toutes les catégories humaines. « Seuls les fous et les incurables peuvent désirer la mort – écrit-il – et la guerre est mort. Elle n’est pas désirée par le peuple. Elle est désirée par des minorités auxquelles la violence physique est utile pour s’assurer des avantages économiques ou pour satisfaire des passions mauvaises. Aujourd’hui surtout, par son coût, avec ses morts et ses destructions, la guerre se présente comme un “massacre inutile”. Massacre, et de plus inutile ». L’expression est de Benoît XV. Giordani respire à pleins poumons le magistère des papes et, au fil des pages, on ne perd jamais de vue les successeurs de Pierre.

La guerre – affirme-t-il – est toujours une défaite, même pour le vainqueur. Avec l’argent investi dans ce « massacre inutile », il serait possible de s’attaquer réellement à des problèmes dramatiques comme la faim et la pauvreté, des maladies pourraient être définitivement vaincues. C’est une affaire de justice et les mille prétextes – toujours les mêmes – mis en avant pour justifier la guerre ne valent rien. La « rapidité » des opérations militaires est une « bonne excuse » que Giordani méprise et il rappelle que, dans l’idée d’Hitler, la seconde guerre mondiale devait être une « guerre éclair » et que, selon Salandra [chef du gouvernement italien en 1914, ndt], la première guerre mondiale allait être une « promenade ». Il ajoute avec violence : « Je ne crois pas qu’un chef d’état ait jamais admis faire la guerre pour voler ; tous ont toujours déclaré la faire dans des buts plus nobles, plus altruistes ou plus idéaux les uns que les autres. Et – puérilité de la haine – la rapacité est toujours attribuée à l’ennemi et les beaux sentiments à l’ami ».

Renverser une macabre perspective de l’historiographie

La logique dit que celui qui fait la guerre a tort, il ne résout rien et y perd de toute façon. Le peuple n’en veut pas. Et l’on commet une grave erreur en se complaisant dans les biographies de personnages qui ont déchaîné des massacre indicibles – d’Hitler à Staline – et en ignorant les véritables chefs de l’humanité comme – écrit Giordani – par exemple un Cottolengo ou un don Orione. C’est une question d’ordre culturel que de parvenir à renverser cette macabre perspective de l’historiographie.

Giordani indique la voie du dialogue pour parvenir à une solution, toujours et de toute façon, sans céder à la fatigue. Il affirme que misère et convoitise sont les premières causes des guerres et que la peur est toujours à la racine. Mais il existe une espérance, une alternative : elle s’appelle charité et le Christ l’a incarnée, lui qui a tout racheté, y compris la politique pour lui donner une fonction de paix et de vie. « Les ennemis s’aiment : voilà la position du christianisme – écrit Giordani – Si l’on mettait en place une politique de la charité, on découvrirait qu’elle coïncide avec la rationalité la plus éclairée et que, socialement et économiquement parlant, elle se révèle être une affaire ».

Il définit toute guerre comme un crime, qu’elle soit agressive ou préventive. C’est une action contre la justice, parce que la justice véritable engendre la paix véritable. Les références de Giordani à Saint François et à Dante sont d’une haute sollicitation spirituelle. Il affirme : « Pour mériter le nom de fils de Dieu, les chrétiens doivent travailler à la paix ». Avec un courage libéré de toute timidité, en vivant le ministère de la réconciliation, en abattant les murs qui séparent, en pardonnant à ceux qui leur font du mal, en guidant vers l’unité ceux qui en sont éloignés. Il cite l’Allemand Max Josef Metzger, tué par les nazis en 1944 : « Nous devons organiser la paix comme d’autres ont organisé la guerre ». Il n’est ni sérieux ni crédible de parler de paix tout en préparant la guerre.

« L’œuvre pacificatrice commence avec moi et avec toi… » conclut Giordani. Pour supplanter la guerre, il ne suffit pas d’éliminer les armes, il faut avant tout reconstruire une conscience et une culture de paix. C’est un travail de première urgence, que les hommes de foi soutiennent par la stratégie de la prière. Voilà la mission des chrétiens aujourd’hui dans l’histoire : réaliser l’évangile de la paix.

Giampaolo Mattei

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