Les religions peuvent-elles être partenaires sur le chemin de la paix ?

Je voudrais d’abord vous dire ma joie de me trouver ici dans ce Centre de Caux, qui a multiplié les initiatives pour consolider la société dans ses fondements moraux et spirituels et pour promouvoir la rencontre pacifique des cultures, des civilisations et des religions. Je remercie particulièrement Monsieur Cornelio Sommaruga de m’avoir invitée à donner ma contribution à cet important séminaire interreligieux.

Le sujet que l’on m’a demandé de traiter aujourd’hui a pour titre : « Les religions peuvent-elles être partenaires sur le chemin de la paix ? »
C’est évidemment une question très importante et tout à fait d’actualité.

Beaucoup croient que le nombre croissant d’actes terroristes, les guerres menées dans le monde en guise de réponse, la tension permanente au Moyen Orient, sont les symptômes d’un « conflit de civilisations » que les religions auraient provoqué et parfois exaspéré. Toutefois, cette façon de voir – qui peut venir des extrémismes et des fanatismes qui ne sont que des déformations des religions – résulte tout à fait partiale.

Les croyants et les responsables de toutes les religions, aujourd’hui plus que jamais, se sentent en devoir de travailler ensemble pour le bien commun de toute l’humanité. Des organisations comme la Conférence Mondiale des Religions pour la Paix ou des initiatives comme la Journée de prière pour la Paix organisée par Jean-Paul II à Assise en janvier 2002, en sont la preuve.
À cette occasion le Pape avait répété, au nom de tous les participants que « celui qui utilise la religion pour fomenter la violence en contredit l’inspiration la plus authentique et la plus profonde » et qu’ « aucune finalité religieuse ne peut justifier la pratique de la violence de l’homme sur l’homme » parce que « Offenser l’homme revient en définitive à offenser Dieu. »

Après le 11 septembre 2001, l’humanité a découvert avec effroi le grand danger que représente le terrorisme. Ce n’est pas une guerre comme les autres, parce que les autres guerres – aujourd’hui, il y en a une quarantaine dans le monde – sont générées par la haine, le mécontentement, les rivalités, les intérêts personnels ou collectifs.
Mais le terrorisme, comme l’a affirmé encore le Pape, est le fruit du Mal avec un M majuscule, des Ténèbres. Or ce genre de choses ne se combat pas avec les moyens humains, diplomatiques ou politiques. Les forces du Bien, avec un B majuscule, sont l’arme adéquate ; et le Bien avec un B majuscule, c’est, comme nous le savons, Dieu et tout ce qui vient de Lui. On peut donc le combattre avec des forces spirituelles, comme la prière, le jeûne, comme l’ont fait les représentants des religions du monde dans la ville de saint François.

Nous savons que parmi les différentes causes du terrorisme, l’une d’elles, la plus profonde, est la déchirure insupportable d’un monde mi-pauvre mi-riche, ce qui génère dans les esprits le ressentiment, incite à la violence, à la vengeance. On voudrait un peu plus d’égalité, de solidarité, un plus juste partage des ressources. Mais les ressources ne bougent pas d’elles-mêmes, ce sont les cœurs qu’il faut changer. Ce sont les cœurs qui doivent communier. C’est pourquoi il faut diffuser l’idée de la fraternité et en répandre le style de vie, et même l’idée de la fraternité universelle puisque le problème est universel. Un frère s’occupe de son propre frère, il sait comment l’aider, il sait partager.

Pour répondre à ce défi sans précédent, la contribution des religions est décisive.
D’où, sinon des grandes traditions religieuses, peut partir une stratégie de fraternité, stratégie susceptible de marquer un tournant dans les relations internationales ?
Le sentiment religieux est porteur d’énormes ressources spirituelles et morales, parce que les croyants vivent pour un Idéal, aspirent à une plus grande justice, s’engagent en faveur des démunis. Il faut ajouter à cela le poids politique de millions de croyants. Or tous ces éléments peuvent s’unir dans le champ des relations humaines et se traduire en actions susceptibles d’influencer positivement l’ordre international.

Les Organisations Non gouvernementales font déjà beaucoup dans le domaine de la solidarité internationale. Ce qui manque, c’est que les États fassent des choix politiques et économiques aptes à construire une communauté fraternelle de peuples engagée pour la justice.

Face à la stratégie de mort et de haine, la seule réponse valide est l’édification de la paix dans la justice. Mais sans fraternité il n’y a pas de paix. Seule la fraternité entre les individus et les peuples peut assurer un avenir pacifique.
Du reste l’idée de la fraternité universelle et la paix, son corollaire, ne datent pas d’aujourd’hui. De grandes personnalités les ont prônées parce que « le plan de Dieu sur l’humanité est la fraternité ; l’amour fraternel est inscrit dans le cœur de tout un chacun ».
« La règle d’or, disait le Mahatma Gandhi, est d’être amis du monde et de considérer la famille humaine “une”. »
Et Martin Luther King : « Je fais le rêve que les hommes, un jour, [�] comprendront qu’ils sont faits pour vivre ensemble comme des frères. [�] ; que la fraternité deviendra le premier sujet à traiter d’un homme d’affaire et le mot d’ordre d’un gouvernant. »

Dans le même sens, le Dalai Lama écrivait à ses disciples après les événements de septembre 2001 aux États-Unis : « Pour nous, la cause de ces événements est claire. […] Nous avons oublié les vérités les plus fondamentales. […] Nous sommes tous un. C’est un message complètement négligé par la race humaine. L’oubli de cette vérité est l’unique cause de la haine et de la guerre ».
Malgré les destructions, une grande vérité de toujours peut surgir des décombres du terrorisme : nous constituons tous ensemble sur la terre une grande famille.

Celui qui a indiqué à l’humanité cette vérité et lui en a fait don, un don essentiel, c’est Jésus. Avant de mourir, il a prié ainsi : « Père que tous soient un » (cf. Jn 17,21). En révélant que Dieu est Père et que les hommes sont, pour cette raison, tous frères entre eux, Jésus introduit l’idée de la fraternité universelle. Ce faisant, il détruit les murs érigés entre ceux qui sont « égaux » et ceux qui sont « différents », entre amis et ennemis.
Chacun de nous, mû par sa propre foi religieuse, a sans aucun doute des expériences positives qui peuvent servir à la solution de problèmes semblables à ceux de notre époque.
Et comme notre époque est celle où – pour reprendre l’expression d’un évêque spécialiste en ce domaine – « les religions doivent faire émerger de la profondeur de leurs traditions les forces spirituelles qui pourront aider l’humanité et la conduire sur la voie de la solidarité et de la paix » , permettez-moi de vous présenter mon expérience au contact de personnes de tout âge, langue, race et surtout religion, un peu partout dans le monde. C’est une expérience de dialogue qui peut fournir une clé pour un « vivre ensemble » fraternel et pacifique, et me paraît dans la ligne des sessions de Caux qui privilégient le témoignage personnel par rapport à l’exposition théorique.

L’art d’aimer
Soixante ans ont passé depuis le début de l’expérience du mouvement des Focolari, et pourtant nous ne cessons de nous surprendre car le chemin spirituel à travers lequel Dieu nous a conduits recoupe les autres chemins spirituels des chrétiens ainsi que celui de fidèles d’autres religions. Bref, nous nous émerveillons de pouvoir devenir partenaires dans le chemin de la fraternité et de la paix. Tout en gardant notre propre identité, ce chemin nous permet de nous rencontrer et de nous comprendre avec les grandes traditions religieuses de l’humanité.
En d’autres termes, en nous mettant dans une attitude d’écoute obéissante de l’Esprit, nous avons appris comment réussir à mettre en pratique l’amour, l’amour du prochain, l’amour de nos frères, amour qui est inscrit dans les gènes de tout homme et de toute femme, créés à l’image de Dieu-Amour, de Dieu-Père. C’est la seule parole qui puisse faire de l’humanité une seule famille.
Cet amour n’est pas un amour quelconque, mais un comportement qui nécessite certaines qualités.
Pour les chrétiens, cet amour est participation à l’amour même de Dieu, tandis que, pour les autres fidèles, il n’est pas absent de leurs Livres Saints.
Ce fut pendant la deuxième Guerre Mondiale que nous avons été éclairés sur la première qualité de cet amour, de ce style de vie. Face à l’écroulement de tous nos idéaux, à la perte de tous nos biens matériels, nous étions poussées à nous agripper à quelque chose qui ne passe pas, qu’aucune bombe ne puisse détruire : Dieu. Nous l’avons choisi comme unique Idéal de notre vie, en croyant, quelles que soient les adversités, à son Amour de Père, amour qui n’exclut aucun homme de la terre.
Il ne suffisait pas, cependant, de croire à l’amour de Dieu. Il ne suffisait pas de l’avoir choisi comme Idéal de notre vie. Le sentiment de la présence de ce Père et les soins tendres qu’il nous prodiguait nous incitaient à nous faire « fils », à l’aimer à notre tour, à réaliser au fil des jours le projet particulier d’amour qu’il a sur chacun de nous, en d’autres termes à faire sa volonté.
Or la première volonté d’un Père n’est-elle pas que ses enfants, tous ses enfants, se traitent en frères, s’aiment entre eux ?
Il désire que nous aimions chacun, sans faire de discrimination, tout comme lui. Il n’est donc pas question de choisir entre le sympathique et l’antipathique, le beau ou le laid, le blanc, le noir ou le jaune, l’européen ou l’américain, le chrétien ou le juif, le musulman ou l’hindou. L’amour ne connaît aucune forme de discrimination.
Cette foi dans l’amour que Dieu a pour ses créatures se retrouve, nous l’avons constaté, chez de nombreux frères et sœurs d’autres religions, à commencer par les religions abrahamiques qui affirment l’unité du genre humain, la sollicitude de Dieu pour toute l’humanité et le devoir de tout homme d’imiter le Créateur dans son comportement immensément miséricordieux envers chacun.
Un dicton musulman affirme : « Dieu pardonne cent fois, mais il réserve sa suprême miséricorde à celui dont la piété a épargné la plus petite de ses créatures. »
On reste sans paroles devant la compassion infinie pour chaque être vivant que le Bouddha a enseignée à ses disciples : « Vous, moines, vous devriez travailler au bien-être de beaucoup, au bonheur de beaucoup, mus de compassion pour le monde, pour le bien-être (…) des hommes ».
Pour les chrétiens, il faut aimer chaque homme, car en chaque homme on aime le Christ. Lui-même nous dira un jour : « C’est à moi que vous l’avez fait » (cf. Mt 25,40).

Aimer tous les hommes, sans distinction.
Un autre trait de cet amour est universellement connu et mentionné dans les livres sacrés. Vivre cela pourrait suffire à faire du monde une grande famille : aimer comme soi-même, faire aux autres ce que l’on voudrait que l’on vous fasse à vous-même, ne pas faire aux autres ce que l’on ne voudrait pas qu’on vous fasse. C’est ce qu’on appelle la « Règle d’or » mentionnée dans la présentation de ce Séminaire. Elle a été exprimée par Gandhi en ces beaux termes : « Toi et moi nous ne sommes qu’un. Je ne peux te faire de mal sans me blesser moi-même. »
La tradition musulmane dit : « Aucun parmi vous n’est un vrai croyant, s’il ne désire pour son frère ce qu’il désire pour lui-même » .
L’Évangile l’énonce ainsi : « Tout ce que vous voulez que les hommes fassent pour vous, faites-le vous-mêmes pour eux » (Mt 7,12). Et Jésus commente : « C’est la Loi et les Prophètes. » (Ibid)
Cette simple norme que l’Esprit a répandue dans toutes les religions est un condensé de tous les commandements de Dieu. Il faut donc lui faire une large place dans le dialogue interreligieux.
De cette règle – qui à juste titre a été appelée « d’or » – découle une norme qui, si elle était appliquée, pourrait être à elle seule un puissant moteur pour l’harmonie entre les individus et les groupes.
Pour mettre en pratique l’amour authentique envers les autres il faut encore quelque chose qui se condense en une formule toute simple, de trois mots seulement : « Se faire un ».
Se faire un avec les autres signifie nous charger de leurs poids, de leurs soucis, de leurs souffrances et de leurs joies.
Se faire un est d’une extrême importance dans le dialogue interreligieux. Quelqu’un a dit : « Connaître la religion de l’autre implique que l’on entre dans sa peau, que l’on voie le monde tel qu’il le voit et que l’on pénètre la signification qu’a pour l’autre d’être bouddhiste, musulman, hindou, etc. »
Or « vivre l’autre » touche tous les aspects de la vie et est l’expression du plus grand amour. En effet, en vivant ainsi, on est mort à soi-même, à son « moi » et à tout attachement. On parvient au « rien de soi » auquel aspirent les grandes spiritualités et au vide d’amour qui se réalise au moment où l’on accueille l’autre. Cette attitude consiste à se placer face à chacun dans l’attitude d’apprendre, et l’on a réellement quelque chose à apprendre.
L’étape suivante de l’art d’aimer est peut-être celle qui requiert le plus d’efforts. Elle est la pierre de touche de l’authenticité de notre amour, de sa pureté et, par conséquent, de sa réelle capacité d’engendrer l’unité entre les hommes et la fraternité universelle. Il s’agit d’être les premiers à aimer, c’est-à-dire de ne pas attendre que l’autre fasse le premier pas, mais être les premiers à prendre l’initiative.
Cette manière d’aimer est un risque que nous prenons personnellement, mais si nous voulons aimer à l’image de l’amour de Dieu et développer la capacité d’amour qu’Il a déposée en nos cœurs, nous devons faire comme Lui qui n’a pas attendu d’être aimé de nous, mais au contraire nous prouve depuis toujours et de mille manières qu’Il nous aime en premier, quelle que soit notre réponse.
Nous avons été créés comme un don les uns pour les autres et nous nous réalisons dans la mesure où nous nous mettons au service de nos frères et sœurs dans cette attitude d’amour qui devance l’amour de l’autre. C’est un enseignement que nous ont transmis par leur exemple les grands fondateurs des religions.
Jésus nous en a donné l’exemple. Lui qui a dit : « Nul n’a de plus grand amour que celui qui donne sa vie pour celui qu’il aime » (Jn 15,13), il l’a réellement donnée, lorsque nous étions pécheurs et que nous n’aimions pas.

Lorsque deux ou plusieurs personnes sont dans l’attitude d’aimer en premier, l’amour entre elles devient réciproque. Or l’amour réciproque est le le plus sûr fondement de la paix et de l’unité dans le monde.

Certes, nous en avons fait l’expérience, pour quiconque entreprend aujourd’hui de déplacer les montagnes de la haine et de la violence, la tâche est immense et ardue. Mais ce qui est impossible à des millions d’hommes isolés et divisés semble devenir possible à des personnes qui ont fait de l’amour mutuel, de la compréhension réciproque, de l’unité, la dynamique essentielle de leur vie.
Tout cela a une raison, possède une clé de voûte et porte un nom. Lorsque nous entrons en dialogue entre nous, fidèles de religions différentes, que nous nous ouvrons les uns aux autres pour établir un dialogue où se mêlent la bienveillance, l’estime réciproque et le respect, nous nous ouvrons en même temps à Dieu et « nous permettons – l’expression est de Jean-Paul II – que Dieu soit présent au milieu de nous » .
Cette présence, fruit de notre amour réciproque, est la force secrète qui dynamise nos efforts en faveur de la paix et de la fraternité universelle et permet qu’ils soient couronnés de succès. L’Évangile l’annonce aux chrétiens en ces termes : si deux ou plusieurs personnes s’unissent dans l’amour authentique, le Christ lui-même, qui est la Paix, est présent au milieu d’elles et donc en chacune d’elles.
Peut-il y avoir de plus grande garantie, de meilleure chance pour ceux qui s’efforcent d’être des instruments de fraternité et de paix ?

Cet amour réciproque, cette unité qui procure tant de joie à ceux qui les mettent en pratique, demande quoi qu’il en soit détermination, entraînement quotidien, sacrifice.
C’est ici qu’entre en jeu, dans le langage chrétien, un mot à la fois éblouissant de lumière et profondément dramatique, un mot que le monde ne veut pas entendre prononcer, car il le considère folie, absurdité, non-sens.
C’est le mot « croix ».
On ne réalise rien de bon, d’utile, de fécond en ce monde, si l’on ignore, si l’on refuse l’effort, la souffrance, en un mot, la croix.
S’engager à vivre et à porter la paix, à susciter la fraternité, n’est pas une partie de plaisir ! Il faut du courage, il faut savoir souffrir.
Je ne suis pas en train de vous parler d’une utopie mais d’une réalité vécue depuis plus de 50 ans par des millions de personnes, une expérience pilote de la fraternité universelle et de l’unité que nous désirons tous.
Grâce à ce style d’amour, des dialogues féconds ont été entrepris entre notre mouvement et des chrétiens de nombreuses Églises, avec des fidèles de différentes religions et avec des personnes de cultures les plus disparates. Ensemble nous avançons vers la plénitude de vérité à laquelle nous aspirons tous.

L’expérience de dialogue interreligieux du mouvement des Focolari

Je vais donc vous parler des occasions de rencontre que nous avons eues, dès les débuts du mouvement, avec des frères et des sœurs d’autres credo.
La première expérience vraiment forte que nous avons faite fut un contact avec la tribu des Bangwa, une tribu du Cameroun profondément ancrée dans sa religion traditionnelle, qui était décimée par une grave mortalité infantile et à laquelle nous allions prêter assistance.
Un jour leur chef, appelé « Fon », a réuni les milliers de membres de son peuple dans une grande clairière dans la forêt, pour nous fêter en nous présentant leurs chants et leurs danses. J’étais présente et j’ai eu une très forte impression, comme si Dieu, comme un immense soleil, nous embrassait tous de son amour, eux et nous. Pour la première fois de ma vie j’ai eu l’intuition que nous aurions eu des relations avec des personnes de traditions non chrétiennes.

L’événement fondateur de ce dialogue s’est produit à Londres, en 1977, à l’occasion de la cérémonie de remise du Prix Templeton pour le progrès des religions. À l’issue du discours que j’avais tenu, tandis que je sortais de la salle, les premiers à venir vers moi pour me féliciter ont été des juifs, des musulmans, des bouddhistes, des sikhs, des Hindous.
L’esprit chrétien dont j’avais parlé les avait impressionnés, si bien que je compris avec clarté que nous ne devions plus nous occuper seulement de notre Église et des autres Églises, mais aussi de ces frères et sœurs d’autres crédos. C’est ainsi qu’a commencé notre dialogue interreligieux.
Deux ans plus tard, j’ai eu l’occasion de rencontrer une personnalité bouddhiste, M. Nikkyo Niwano, fondateur au Japon de la Rissho Kosei-kai. Il m’a invitée à aller parler à Tokyo de mon expérience spirituelle devant 10 000 bouddhistes. Depuis, entre focolarini et membres de la Rissho Kosei-kai, des relations fraternelles sont établies partout où nous nous rencontrons dans le monde.

De façon plus surprenante encore, toujours avec le bouddhisme, nous sommes entrés en contact avec d’éminentes personnalités du monachisme thaïlandais.
Durant un long séjour dans notre cité-pilote internationale de Loppiano (Italie), une petite cité où les 800 habitants s’efforcent de vivre la fidélité à l’Évangile, deux moines ont très touchés de découvrir l’unité et la vie d’amour évangélique qu’ils ne connaissaient pas.
De retour en Thaïlande, ces deux moines ont saisi toutes les occasions pour raconter à des milliers de fidèles et à des centaines de moines, leur expérience au contact du mouvement des Focolari. C’est ainsi qu’est né ce que j’appellerais un mouvement bouddhiste-focolarino, ou plutôt bouddhiste-chrétien, une sorte d’oasis de fraternité parmi celles que nous sommes en train de construire dans le monde.
Par la suite j’ai été invitée en Thaïlande dans l’une de leurs Universités bouddhiste et dans un temple, où j’ai pu parler à des nonnes, des moines bouddhistes et des laïcs et laïques.
Ils ont prêté une grande attention à mes paroles tandis que nous-mêmes nous avons été édifiés par le détachement qui les caractérise, par leur ascèse.

Et le dialogue avec l’Islam ?

6 500 amis musulmans sont en contact avec le mouvement. Ce qui nous lie entre nous c’est notre spiritualité qui leur donne un nouvel élan et les encourage à mieux vivre ce que la spiritualité islamique a d’essentiel.
Nous avons organisé plusieurs rencontres avec eux. Chacune d’elles a été caractérisée par une présence de Dieu tangible notamment lorsqu’ils prient, ce qui nous donne beaucoup d’espoir.
J’ai personnellement touché du doigt que cette espoir n’est pas vain dans la mosquée Malcom Shabazz de Harlem aux États-Unis. C’était il y a six ans. Je me trouvais devant 3 000 musulmans afro-américains à qui j’avais été invitée à parler de mon expérience chrétienne.
Leur accueil, à commencer par celui de leur leader, l’Imam W.D. Mohammed, a été si chaleureux, si sincère, si enthousiaste que nous pouvons entrevoir un avenir très prometteur.
Je suis retournée aux États-Unis il y a trois ans, à Washington, pour participer à un Grand Rassemblement organisé par ce mouvement et y parler de notre collaboration. Sept mille personnes, chrétiens et musulmans, y participaient. La joie qui nous envahissait n’était pas simplement humaine, nous nous sommes donnés une accolade sincère au milieu des applaudissements et nous nous sommes promis d’avancer dans cette voie aussi unis qu’il est possible, diffusant ce style de vie au plus grand nombre. Une autre oasis de fraternité.

Il faut également évoquer les contacts toujours plus étroits que nous avons avec des frères et des sœurs juifs en Israël et un peu partout dans le monde. Ma dernière rencontre en date a eu lieu à Buenos Aires avec une nombreuse communauté. D’autres membres du mouvement ont eu d’autres contacts à différentes occasions.
Nous nous sommes retrouvés avec une grande émotion et nous avons scellé entre nous un pacte d’amour réciproque si profond et si sincère que nous avons eu l’impression de dépasser d’un seul coup des siècles de persécution et d’incompréhension.
Depuis trois ans nous avons commencé également un dialogue prometteur en Inde, avec les Hindous. Nous avons des contacts fraternels et intenses avec des mouvements gandhiens au Sud de ce grand pays. À Mumbai un dialogue profond s’est instauré avec des professeurs de l’Université Somaiya et de l’Institut culturel indien. Plus récemment nous avons établi de bonnes relations avec un mouvement numériquement très important, le Swadhyaya, dont l’objectif – l’unité dans la diversité et la fraternité – ressemble beaucoup au nôtre.
Il y a un an nous avons tenu le premier colloque hindou-chrétien. L’atmosphère qui s’y est créée était d’une telle profondeur que nous avons pu leur faire connaître de nombreuses vérités de notre foi. C’était un peu comme si un horizon impensable jusqu’à présent s’était ouvert devant nous.
Il y a quelques mois, je suis retournée en Inde et nous avons pu poursuivre ce dialogue au niveau de la spiritualité, niveau défini par un dignitaire de mon Église : « le point culminant des différentes formes de dialogue qui répond aux attentes les plus profondes des hommes de bonne volonté » . Nous envisageons de faire d’autres colloques du même genre, bouddhiste-chrétien et islamo-chrétien.

En ce qui concerne l’expansion universelle de notre mouvement, nous sommes en contact avec les principales religions du monde, et environ 30 000 fidèles de ces religions partagent, dans la mesure du possible, la spiritualité et les buts du mouvement.

Comment dialoguer ?

Si notre dialogue interreligieux a connu une évolution aussi rapide et féconde, c’est parce que l’élément décisif et caractéristique a été l’art d’aimer dont j’ai parlé tout à l’heure.
Dans le climat d’amour réciproque suscité par la mise en pratique de la règle d’or, on peut établir un dialogue avec ses partenaires, on s’efforce de se faire « rien » pour pouvoir entrer, d’une certaine manière, en eux.
« Se faire rien », ce qui est synonyme de « se faire un » avec les autres.
J’ai déjà parlé de « se faire un » et ces trois simples mots contiennent le secret du dialogue qui peut engendre l’unité.
« Se faire un », en effet, n’est pas une tactique, une attitude extérieure ; ce n’est pas seulement un sentiment de bienveillance, d’ouverture et de respect, une absence de préjugés. C’est tout cela ensemble, avec quelque chose de plus.
Cette pratique de « se faire un » exige que l’on chasse de sa tête les idées, de son cœur les affections, de la volonté tout ce qui nous empêche de nous identifier aux autres.

On n’arrivera jamais comprendre un frère, le connaître, partager ses souffrances ou ses joies, si notre esprit est riche d’une préoccupation, d’un jugement, d’une idée… ou de quoi que ce soit d’autre. Pour se « faire un » il faut des esprits pauvres, des pauvres en esprit qui soient riches d’amour.
Cette attitude très importante et incontournable, provoque un double effet : elle nous aide à nous inculturer dans la situation d’autrui, à connaître sa culture et son langage, et elle dispose notre interlocuteur à nous écouter.
Nous avons remarqué, en effet, que lorsque l’on meurt à soi-même pour se « faire un » avec les autres, ceux-ci sont frappés et demandent des explications.
On peut ainsi passer à « l’annonce respectueuse » c’est-à-dire à une annonce mue par un devoir de loyauté envers Dieu et envers nous-mêmes et de sincérité envers notre prochain : nous proposons à notre interlocuteur ce que notre foi affirme sur le sujet abordé, sans rien imposer, sans un soupçon de prosélytisme, uniquement par amour. Pour nous chrétiens, à ce moment-là le dialogue débouche sur l’annonce de l’Évangile.

Nous travaillons avec de nombreux frères et sœurs des grandes religions et nous expérimentons avec eux la fraternité. Dès lors nous sommes convaincus que le pluralisme religieux de l’humanité peut perdre peu à peu sa connotation de division et de conflit et représenter, dans la conscience de millions d’hommes et de femmes, une sorte de défi : celui de recomposer l’unité de la famille humaine, parce que l’Esprit Saint est présent et actif d’une façon ou de l’autre dans toutes les religions, non seulement dans les personnes prises individuellement mais aussi dans les traditions religieuses elles-mêmes.
Jean-Paul II a défini la magnifique Journée mondiale de prière pour la paix à Assise de 1986 « une manifestation admirable de l’unité qui nous lie au-delà des différences et des divisions. »
Que notre cœur soit empli d’amour authentique. Nous aurons alors de bonnes raisons de nourrir une grande espérance quant à l’unité entre les fidèles des grandes religions et à la fraternité vécue par toute l’humanité.

Merci de votre écoute.
Que Dieu, dans son amour, nous prenne dans une seule étreinte.

Chiara Lubich

 

 

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