Raffaele Mastromarino, psychothérapeute, analyste transactionnel, a réalisé un travail très intéressant qui part d’une prémisse fondamentale : on peut être de bons parents, on peut prendre soin efficacement de ses enfants à condition d’être capables de prendre soin de soi-même. Ce qui amène le couple à se demander : comment prenons-nous soin de nous-mêmes en tant qu’individus et en tant que couple ?
Souvent, le fait de s’occuper des enfants investit les parents au point qu’ils sont tellement projetés vers leurs enfants qu’ils s’oublient eux-mêmes et oublient leur relation. Il est donc nécessaire d’inverser la tendance et R. Mastromarino propose aux parents de travailler sur eux-mêmes à chaque étape du développement de leurs enfants, en commençant par la phase de l’exploration, puis de la première séparation, celle de la socialisation, de la scolarisation et de l’acquisition des compétences, jusqu’à celle de l’adolescence et enfin du jeune adulte.
L’intuition géniale de R. Mastromarino a été d’examiner quels sont les besoins de l’enfant à chaque stade de son développement, les tâches qu’il a à accomplir, ce qu’il doit apprendre, mais aussi la tâche du parent par rapport à ce stade (c’est-à-dire ce qu’un parent doit transmettre à l’enfant en fonction de l’âge de l’enfant) et enfin ce dont le parent lui-même a besoin pour accomplir la tâche de s’occuper de l’enfant.
La première phase, qui s’étend de 0 à 6 mois, est celle de vivre, d’exister. À ce stade, le besoin de l’enfant est d’exister. La tâche du parent à l’égard de l’enfant de 0 à 6 mois consiste donc à lui donner la permission d’exister. Lorsque nous parlons de permission dans ce cas, nous parlons du comportement verbal et non verbal que le parent peut avoir envers l’enfant pour lui permettre d’exprimer ses besoins.
Plus précisément, dans cette phase, avoir la permission d’exister signifie pour le jeune enfant faire l’expérience d’être accepté tel qu’il est, dans ses besoins d’être nourri, soigné, touché, vu. De façon symétrique, le parent d’un enfant âgé de 0 à 6 mois a besoin de faire siennes les mêmes permissions d’exister que celles qu’il donne à son enfant et donc de prendre soin de lui-même comme il le fait pour l’enfant de diverses manières, par exemple en veillant à son alimentation, en réorganisant son temps et sa façon de se reposer.
Vient ensuite le stade de 6 à 18 mois, appelé stade de l’exploration, au cours duquel les besoins de l’enfant consistent à développer sa propre conscience dans l’accomplissement des choses. À ce stade, la tâche du parent vis-à-vis de l’enfant est de lui donner la permission de faire, c’est-à-dire de lui dire : tu peux aller dans le monde, explorer, tout en sachant que quelqu’un prend soin de toi, quand tu le veux.
Par conséquent, à ce stade, le besoin du parent et la tâche vis-à-vis de lui-même seront d’assumer les mêmes « permissions de faire » que celles qu’il envoie à l’enfant. S’occuper d’un enfant explorateur peut être très fatigant ; il est donc important pour le parent de faire périodiquement une pause et d’avoir du soutien : se reposer, se nourrir et se procurer ce dont il a peut-être besoin.
Vient ensuite la période de 18 mois à 3 ans, ou stade de la première séparation. C’est la phase où l’enfant a besoin de savoir qu’il peut se dépasser, prendre des risques, essayer, découvrir des limites, dire « non », se séparer. Par conséquent, la tâche du parent vis-à-vis de l’enfant est de lui donner la permission d’expérimenter et d’examiner, de découvrir ses limites, d’être en désaccord et de devenir une personne distincte. Par conséquent, à ce stade, le besoin du parent et la tâche à accomplir vis-à-vis de lui-même est de faire siennes les « permissions de penser » qu’il envoie à l’enfant.
Vient ensuite le stade de 3 à 6 ans, ou stade de la socialisation, de l’identité et de l’imagination. Au cours de cette phase de développement, l’enfant s’intéresse particulièrement à l’autre sexe, au pouvoir et à l’impuissance, à l’imagination et à la réalité, à la création et à la destruction, à la maladie et à la santé.
La tâche des parents vis-à-vis de leurs enfants consiste donc à leur donner la permission d’affirmer leur pouvoir et leur identité, à leur dire qu’il est normal d’avoir leur propre vision du monde, d’explorer qui l’on est et de découvrir comment on est fait, qu’il est normal d’exprimer ce que l’on ressent de façon directe. Et quels seront les besoins des parents et les tâches vis-à-vis d’eux-mêmes ? Il s’agira de s’accorder les mêmes permissions pour affirmer leur pouvoir et leur identité que celles qu’ils accordent à leur enfant.
De 6 à 12 ans, c’est le stade de la préadolescence, de la créativité, de la construction et de la compétence. Dans cette phase, les besoins de l’enfant concernent la structuration du temps, les contacts et la pression du groupe de pairs, la définition de la réalité, les rapports avec l’autorité, l’élaboration des jugements et les comportements appropriés.
À ce stade, la tâche des parents à l’égard de leur enfant consiste à lui donner la permission de se structurer, c’est-à-dire qu’il peut faire les choses à sa façon, réfléchir avant de faire sienne une règle, être en désaccord avec moi (qui exprime des opinions contraires), avoir ses propres principes moraux.
À ce stade, les besoins du parents et les « tâches » envers lui-même consistent à faire sienne la même « permission d’affirmer sa propre structure » que celle qu’il envoie à son enfant, en résolvant les problèmes liés au fait de faire les choses à leur manière, en suivant leurs propres principes et leur propre morale.
Enfin, nous arrivons aux dernières étapes : celle de l’adolescence et de la séparation (12-19 ans). À ce stade, les étapes précédentes se répètent à un niveau plus sophistiqué et on a besoin de décider qu’il est bon de grandir, d’être sexué et de réussir.
La tâche des parents à l’égard de leurs enfants consiste à leur donner la permission d’être sexué et de se séparer. C’est-à-dire, il est bon que tu aies ton identité sexuelle, que tu aies une place parmi les adultes et que tu réussisses. Il est normal que tu expérimentes et connaisses ton identité. Il est normal que tu sois comme tu souhaites être. Quand tu quitteras la maison, tu seras toujours le bienvenu à ton retour. Je t’aime et mon amour te suivra où que tu ailles.
En ce qui concerne les parents, ils ont à s’accorder les mêmes « permissions d’être des personnes sexuées et des personnes séparées » que celles qu’ils accordent à leur enfant, en résolvant les problèmes sexuels et de séparation qui sont stimulés par un enfant adolescent.
Enfin, la dernière étape, à partir de 19 ans, est celle du jeune adulte et de l’émancipation. Cette phase permet à l’enfant de mûrir sexuellement, de développer toutes ses capacités physiques et intellectuelles et d’expérimenter les différents rôles de l’adulte. Les tâches des parents vis-à-vis de leurs enfants consistent à autoriser la réadaptation des différentes étapes et l’interdépendance, et les besoins des parents et leurs « tâches » vis-à-vis d’eux-mêmes consistent à s’approprier cette même « autorisation d’interdépendance et cette réadaptation des différentes étapes du développement », en résolvant les problèmes qui se posent au contact d’un jeune adulte.
Les parents, à ce stade, peuvent faire une expérience importante : celle de se rappeler que l’adolescence des enfants se termine par la renonciation des parents à avoir le contrôle sur leur progéniture en leur disant : « Nous ne contrôlerons plus votre comportement, vous êtes maintenant vos propres maîtres. Nous savons que vous êtes indépendants, que nous sommes séparés de vous et nous savons nous occuper de nous. Vous êtes libres d’aller et venir quand vous le souhaitez ».
Source : Città Nuova – Auteur : Lucia Coco
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