Mouvement des Focolari

Famille : le “prix” pour rester unis

Avr 17, 2015

Les mirages d’une carrière brillante dans un pays de rêve. L’histoire de Rosette et Éric, jeune couple philippin qui est arrivé à aller à contre-courant pour choisir de rester une famille.

20150417-01«En 2014 l’entreprise où je travaille – raconte Rosette – m’a confié la région du Kurdistan irakien (KRI). Pour faciliter l’insertion de mon mari Éric au travail, lui aussi avec un excellent CV, nous avons pensé nous installer à Dubaï, un riche émirat arabe où l’on vit agréablement avec tout le confort nécessaire. A cause de cette richesse beaucoup d’étrangers viennent à Dubaï pour avoir une vie meilleure pour eux-mêmes et pour leur famille, même si cela implique de laisser sa famille dans son pays d’origine.

Durant un de mes voyages au Kurdistan, même si j’étais arrivée deux heures en avance, j’ai été effacée de la liste des passagers. J’étais agitée parce que cela voulait dire prendre un avion plus petit qui ne partait qu’à une heure du matin. Il restait encore un bon bout de temps avant l’embarquement, mais je suis allée quand même au nouveau terminal : on ne sait jamais. Là bizarrement, je vois déjà beaucoup de gens, parmi eux un bon nombre qui dort par terre. Je leur demande combien de temps on devait attendre. Une femme me répond : « Cela dépend : ça peut être tout de suite comme plusieurs jours”. De fait elle attendait depuis presque deux jours à cause d’une erreur d’orthographe sur son visa. Alors ils ne la faisaient pas sortir. Pour démarrer une conversation je lui ai demandé si elle avait de quoi manger : « Oui, j’ai encore quelques crackers et un peu d’eau ». Je l’invite à un repas avec moi et à la fin elle accepte après maintes hésitations.

Alors que nous étions en train de bavarder, son directeur de travail l’appelle pour vérifier comment elle allait et savoir s’il lui restait encore de l’argent. Elle n’avait plus un sou. Elle avait envoyé tout son salaire à son fils pour ses frais d’université. Le coup de fil terminé elle me raconte son histoire : séparée de son mari, ses deux enfants vivent avec leur grand-mère dans leur pays d’origine. Elle est venue travailler à Dubaï parce que sa fille est en train de préparer le bac et il faut de l’argent pour l’université.

Un peu plus tard j’entends qu’on appelle mon vol. Mais pour elle combien devra-t-elle encore attendre. Je l’encourage à prendre l’argent que je lui offre. Je lui promets que je prierai pour sa famille.

C’est seulement une des nombreuses histoires que vivent les immigrés. Certaines familles sont à Dubaï parce que chez eux c’est la guerre (palestiniens, syriens, irakiens): Dubaï se présente comme un refuge plus sûr où pouvoir vivre une vie normale. Pour eux le travail c’est tout, le début, la fin, parce que sans travail ils n’auront pas le visa et sans visa ils ne peuvent pas rester à Dubaï. Surtout pour ceux qui sont seuls ici, à la longue, la distance physique et la solitude dans un pays étranger arrivent souvent à voiler même la plus pure des intentions. Nous connaissons des gens qui ont commencé des relations extraconjugales, détruisant ainsi la famille pour laquelle ils sont venus ici, ils en sont réduits à ne plus fournir que de l’argent et ne sont même plus présents à ceux qui leur sont chers. Malheureusement la majorité d’entre eux se résigne à une telle solution comme étant inéluctable, même si le prix à payer est fort. Ce même “prix” a frappé à notre porte. Mes fréquents voyages à Dubaï m’éloignaient toujours plus fréquemment d’Éric. Nous avons alors décidé de déménager au Kurdistan, même si cela voulait dire pour Éric de renoncer au bon travail qu’il avait à Dubaï. Au début mon entreprise a accepté, mais après d’ultérieurs entretiens et quelques épisodes violents au Kurdistan, l’entreprise nous a fait savoir qu’elle ne pouvait plus garantir la sécurité d’Éric et qu’il ne pouvait donc pas s’y transférer. Un de mes responsables m’a glissé à l’oreille : « … Vous vous habituerez à être séparés…”.

Face à cette perspective, nous avons immédiatement décidé de donner notre démission. En aucun cas nous devions vivre séparés, même si cela voulait dire renoncer à un travail bien payé et à une carrière pour laquelle j’avais tellement étudié. J’avoue que ce ne fut pas du tout un choix facile. Mais dans notre cœur nous sentions chacun que c’était le bon choix. Mon dernier jour de travail remonte au 31 décembre 2014.

En janvier dernier le pape est venu aux Philippines, et durant la rencontre avec les familles il a affirmé avec force la valeur de la famille : « Nous devons être forts pour dire non à toute tentative de colonisation idéologique qui veut détruire la famille ». Ces paroles, faites sur mesure, semblaient s’adresser à nous et confirmer notre décision d’aller à contre-courant ».

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