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Le congrès du 14 juin a été promu par la Présidence de la Chambre des députés pour rappeler la figure d’Igino Giordani (1884-1980). Personnalité éclectique du XXe siècle, député à la Chambre du Parlement italien de 1946 à 1953, écrivain, journaliste, expert en œcuménisme et en patrologie, Igino Giordani a laissé des traces profondes et a ouvert des perspectives prophétiques au niveau culturel, politique, ecclésial, social. Le Président de la Chambre Gianfranco Fini a présidé les travaux. Parmi les intervenants : Alberto Lo Presti, directeur du Centro Igino Giordani, qui a présenté la figure politique et l’action parlementaire d’Igino Giordani ; des parlementaires et des jeunes, Italiens ou non, pour porter  témoignage de l’influence de la pensée et de l’action de Giordani, et enfin Maria Voce, dont nous reportons intégralement le discours.

« Je remercie Monsieur le Président de la Chambre des Députés Gianfranco Fini, de me donner l’occasion de vous adresser une salutation ici à ce Congrès sur Igino Giordani, un des pères constituants de la République et que nous considérons cofondateur du Mouvement des Focolari, qu’aujourd’hui je représente.

J’adresse en outre ma salutation personnelle à vous Messieurs les Sénateurs et les Députés présents, aux autorités ici présentes, à tous les participants à cette rencontre.

C’est le 17 septembre 1948, ici même, à la Chambre des Députés, qu’Igino Giordani a reçu Chiara Lubich, une jeune fille de Trente âgée de 28 ans, accompagnée de quelques religieux.

Pour Giordani ce fut une rencontre aussi inattendue qu’extraordinaire. A partir de ce moment, il ne fut plus le même.

Qu’a dit Chiara Lubich, quelles paroles a-t-elle utilisées pour entrer si profondément dans l’âme de l’éclectique politicien d’alors ?

Nous en savons plusieurs choses. En fait, à la fin du colloque, Igino Giordani très touché par ce qu’il avait entendu, a invité Chiara Lubich à mettre par écrit ce qu’elle venait de lui dire, pour le publier ensuite dans une revue qu’il dirigeait. Le mois suivant, sortit l’article qui commençait avec la narration de la naissance de l’Idéal de l’unité, sous les bombes :

C’était la guerre.

Tout s’écroulait autour de nous, toutes jeunettes, attachées à nos rêves pour l’avenir : maisons, écoles, personnes chères, carrières.

[…]

Ce fut de cette dévastation complète et multiple de tout ce qui formait l’objet de notre pauvre cœur, que naquit notre Idéal. (…)

Nous sentions qu’un seul Idéal était vrai, immortel : Dieu.

Face à cet effondrement provoqué par la haine, apparaissait de façon très vive à notre esprit de jeunes filles celui qui ne meure pas.

Nous le voyions et nous l’aimions dans son essence : « Dieu est amour »

« C’était la guerre… »

Igino Giordani pouvait se dire expert sur le sujet. La guerre, il l’avait vécue en personne, dans les tranchées de la Première guerre mondiale, connaissant les atrocités des massacres et en étant lui-même gravement blessé. Il était un expert de l’absurdité de chaque conflit armé et il s’était fait un nom dans la culture italienne comme vrai défenseur de la paix.

Mais les paroles de Chiara n’avaient pas pour thème l’horreur de la guerre. Chiara racontait comment, des années plus tôt, dans Trente bombardée, elle apercevait un idéal que rien ne pourrait effacer : Dieu. Il se révélait à ses yeux non comme l’espérance dernière, un désir lointain, mais comme amour circulant entre tous, feu qui serait gardé et alimenté par l’amour réciproque, de façon à réaliser la promesse de Jésus : « Là où sont deux ou trois réunis en mon nom, je suis au milieu d’eux » (Mt 18,20).

Ce n’est pas difficile de croire qu’Igino Giordani fut touché. A ses yeux lui était révélé un Evangile vivant. Ce Jésus que Chiara lui avait montré entrait dans l’histoire des hommes comme amour et guidait l’humanité vers la fraternité universelle, vers l’unité. Dans son autobiographie, en rappelant cette rencontre, Giordani dévoile l’émotion éprouvée :

Lorsqu’elle cessa de parler, j’étais dans l’enchantement(…) ; et j’aurais voulu continuer à entendre cette voix. S’en m’en rendre compte, c’est cette voix que j’avais attendue.

Elle mettait la sainteté à la portée de tous, supprimait les grilles qui séparaient le monde laïc de la vie mystique. (…)

Elle rendait Dieu proche : il était Père, frère, ami, présent à l’humanité.

En Chiara et ses premières compagnes il était évident qu’un idéal vaste comme l’unité devrait embrasser  le monde entier, mais comment un groupe de si jeunes filles auraient pu y arriver ? Qui sait si Giordani ne s’est pas alors posé cette question ! Ce qui est sûr aujourd’hui, nous le savons des paroles mêmes de Chiara, que la rencontre avec Giordani fut pour elle la rencontre avec cette humanité.

L’idéal de l’unité de Chiara Lubich et de ses premières compagnes était fait pour tous et pour toutes les réalités humaines, et Giordani était là pour le témoigner.

Aujourd’hui la trame d’un tel dessein est visible. Le Mouvement des Focolari est présent dans plus de 180 pays  du monde, et compte plus de deux millions d’adhérents et de sympathisants de milieux culturels et sociaux les plus différents.

Je rentre d’un voyage en Europe orientale, où les communautés des Focolari sont présentes depuis 1961, quand les premiers membres passaient le rideau de fer, armés seulement de l’amour réciproque et de la charité envers chacun, sans distinctions. Leur travail dans le silence depuis ces années, a contribué à dépasser les barrières idéologiques, a soutenu l’engagement pour reconstruire cette société oppressée, et anime aujourd’hui de nombreux projets destinés au bien commun.

Au courant du mois de mai a eu lieu au Brésil l’Assemblée mondiale de l’Economie de Communion, 20 ans après l’intuition prophétique qu’a eue Chiara, lorsqu’arrivant à San Paolo en 1991 et survolant la ville, elle vit les gratte-ciel, et la ‘’couronne d’épine’’ des favelas qui les entouraient. Elle s’est senti poussée à faire quelque chose pour changer le système de développement, pour chercher une voie nouvelle qui ne soit ni le capitalisme, ni le communisme. Aujourd’hui, l’Economie de Communion implique plus de 800 entreprises qui librement, mettent en commun les outils pour promouvoir  et former des entrepreneurs et des économistes à une nouvelle pratique économique, et elle est reconnue et étudiée comme une vraie doctrine économique.

Les multiples initiatives que nous voyons aujourd’hui engagées par le Mouvement des Focolari dans tous les coins du monde et dans tous les domaines de l’activité humaine, étaient, dans un certain sens, prophétiquement présentes à l’origine du moment où Chiara Lubich et Igino Giordani se sont rencontrés ici à Montecitorio. Dès ce moment le Mouvement s’est mis tout de suite également au service de la politique. Il a attiré en ces années de nombreux députés et sénateurs – certains ont été mentionnés dans le précédent audio-vidéo et les choix accomplis, comme vous avez pu l’entendre, furent courageux.

Aujourd’hui c’est la proposition du Mouvement Politique pour l’Unité, voulu et fondé par Chiara Lubich en 1996, avec quelques parlementaires et politiciens de divers niveaux institutionnels, qui voit l’implication – en Corée comme en Argentine et dans d’autres nations – des administrateurs locaux, des fonctionnaires, des étudiants en politique, et de nombreux jeunes engagés dans les écoles de participations.

Il est animé par un amour politique, qui guide les choix, les comportements, les lois, les actions diplomatiques, laissant entrevoir une nouvelle modalité de travail des assemblées administratives, législatives jusqu’aux organismes internationaux.

Il est inspiré du principe de fraternité, principe essentiel de la pensée politique moderne. Comme nous le constatons, il a été à la base des projets politiques les plus importants de l’histoire moderne et contemporaine : du guide idéal de la Révolution française (pensons au triptyque liberté  égalité  fraternité) à la fondation du socialisme utopique, du marxisme au nationalisme patriotique. Il a cependant été interprété de façon non inclusive, mais exclusive, c’est à dire en considérant la fraternité comme un rapport de valeurs qui regarde quelqu’un (une classe sociale, économique, un peuple), en antagonisme avec quelqu’un d’autre.

Il s’agit donc d’un principe politique encore peu exploré dans la dimension universelle, c’est  cela qu’entend faire le Mouvement politique pour l’Unité : décliner le principe de la fraternité universelle pour que la politique retrouve en elle une nouvelle fondation qui la porte à la hauteur des temps, capable d’assumer son rôle de constructrice de paix, de justice, de liberté, pour la communauté humaine tout entière.

La fraternité, en outre, illumine la fin ultime de la politique, qui est une paix à accomplir jusqu’à l’unité de la famille humaine tout entière : unité dans les plus petites communautés politiques comme dans toute l’assemblée internationale.

Ainsi le principe de fraternité a trouvé une mesure dans l’ « aimer la patrie de l’autre comme la sienne », expression créée par Chiara Lubich et qui dès les premiers temps constitue un paradigme d’universalité.  Elle est capable d’exprimer la vocation de la politique comme amour tourné indistinctement vers tous, parce que chaque personne et chaque réalité sociale sont « candidates à l’unité » avec l’autre et chaque peuple est appelé à concourir pour un monde plus uni.

Et en rappelant aujourd’hui, dans ce prestigieux siège du Parlement italien ce que sont ces quelques lignes, ou traits du Mouvement Politique pour l’Unité, nous ressentons encore la grande actualité d’une autre invitation adressée par Chiara aux parlementaires italiens en décembre 2000 à San Macuto. Une invitation, un paradoxe plausible, à conclure entre tous les partis – au-delà de chaque différence – un pacte de fraternité pour l’Italie, parce que le bien du Pays a besoin du travail de tous.

« La fraternité offre des possibilités surprenantes – disait encore Chiara aux parlementaires – , admettre par exemple, de comprendre et  faire sien aussi le point de vue de l’autre, de façon à ce qu’aucun intérêt, aucune exigence restent étrangères ; (…) admettre de considérer ensemble et valoriser les expériences humaines qui risquent autrement, de se développer en conflits inguérissables comme les blessures encore ouvertes de la question méridionale et les nouvelles et légitimes exigences du Nord ; (…) admettre aussi d’introduire de nouveaux principes dans le travail politique quotidien, de façon à ce qu’on ne gouverne jamais contre quelqu’un ou en étant l’expression d’une seule partie du Pays ».

C’est à cela et à beaucoup d’autres défis encore, dans le domaine politique et de la société entière, que conduit cette rencontre entre Chiara Lubich et Igino Giordani, un député qui à Montecitorio nous donne à accueillir cette invitation à dilater l’âme et l’action pour construire l’unité dans le monde entier.

Nous souhaitons, nous désirons, que la rencontre  d’aujourd’hui nous pousse à renforcer la tension commune à travailler aujourd’hui pour l’unité de notre Pays, et bien au-delà.  Merci ».

Maria Voce

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