« La vraie générosité est un échange aux conséquences imprévisibles. Elle représente un risque car elle mêle nos besoins et nos désirs aux besoins et aux désirs des autres. » Adam Phillips et Barbara Taylor, On Kindness (Éloge de la gentillesse) “Les entreprises et toutes les organisations continuent d’être des lieux de vie bonne et entière tant qu’elles laissent s’y épanouir des vertus non économiques parallèlement aux vertus économico-entrepreneuriales. Une coexistence décisive mais tout sauf simple, car elle demande aux dirigeants de renoncer à exercer un contrôle total sur le comportement des personnes, d’accepter que leurs actes comportent une part d’imprévu et d’être prêts à relativiser y compris l’efficience, qui est en passe de devenir le dogme absolu dans la nouvelle religion de notre époque. La générosité est l’une de ces vertus non économiques et cependant essentielles à toute entreprise et institution. À la racine de la générosité, il y a le mot latin genus, generis, un terme qui renvoie à la lignée, la famille, la naissance, et c’est le sens premier du mot genre. Cette étymologie ancienne, aujourd’hui perdue, nous donne des informations importantes sur la générosité. Elle nous rappelle avant tout que notre générosité a beaucoup à voir avec la transmission de la vie : avec notre famille, avec les gens qui nous entourent, avec l’environnement dans lequel nous grandissons et apprenons à vivre. Nous recevons la générosité en héritage lors de notre venue au monde ; c’est un don de nos parents et des autres membres de notre famille. La générosité s’apprend au sein du foyer familial. Celle que nous retrouvons en nous dépend beaucoup de la générosité de nos parents, de l’amour qu’ils avaient l’un pour l’autre avant notre naissance, des choix de vie qu’ils ont fait et de ceux qu’ils font au moment où nous commençons à les observer. Elle dépend également de leur fidélité, de leur hospitalité, de leur attitude envers les pauvres, de leur disponibilité à « gaspiller » du temps pour écouter et aider leurs amis, de leur amour et de leur reconnaissance envers leurs propres parents. Cette générosité primaire n’est pas une vertu individuelle, mais un don faisant partie de la dotation morale et spirituelle de ce que l’on appelle le caractère. C’est un capital que nous possédons déjà lors de notre venue sur terre, qui s’est formé avant notre naissance et que nous alimentons grâce aux qualités de nos relations durant les toutes premières années de notre vie. Il dépend également de la générosité de nos grands-parents et arrière-grands-parents, de nos voisins et de celle de nombreuses autres personnes qui, même si elles n’entrent pas dans notre ADN, contribuent, de façon mystérieuse mais bien réelle, à notre générosité (et à notre absence de générosité). Elle est influencée par les poètes qui ont nourri le cœur de notre famille, par les prières de ceux que nous aimons, par les musiciens que nous apprécions et écoutons, par les chanteurs ambulants dans les fêtes de village, par les discours et les actions des politiques et par les homélies des prédicateurs ; par les martyrs de tous les mouvements de résistance, par ceux qui ont donné leur vie hier pour notre liberté d’aujourd’hui. Elle procède de la générosité infinie des femmes des siècles passés (il existe une grande affinité entre la femme et la générosité) qui, bien souvent, ont fait passer l’épanouissement de la famille qu’elles ont fondée avant celui de la leur – et les femmes continuent aujourd’hui à le faire. La générosité engendre la reconnaissance envers ceux qui, par leur générosité, nous ont rendus généreux. Vivre avec des personnes généreuses nous rend plus généreux, et l’on observe la même chose avec la prière, la musique, la beauté… Cultiver la générosité produit bien plus d’effets que nous ne parvenons à en voir et à en mesurer, et il en va de même lorsque nous-mêmes et les autres manquons de générosité. La réserve de générosité d’une famille, d’une communauté ou d’un peuple est en quelque sorte la somme de la générosité de chacun. Chaque génération augmente la valeur de cette réserve ou la réduit, comme c’est actuellement le cas en Europe, où notre génération, qui n’a plus ni idéaux ni grandes passions, est en train de dilapider le patrimoine de générosité dont elle a hérité. Un pays qui laisse la moitié de ses jeunes au chômage n’est pas un pays généreux”. (lire tout) Par Luigino Bruni Publié dans le journal italien Avvenire le 23/08/2015
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