Mouvement des Focolari

Un tiramisú dédié au professeur

Juin 6, 2013

Les choix courageux d'une enseignante dans un collège situé en zone défavorisée dans la banlieue Nord de Paris aboutissent à des conséquences inespérées pour la formation culturelle et humaine des élèves.

Je vis depuis 18 ans en France, mon mari est français, j’ai deux petits garçons de 6 et 4 ans. J’enseigne l’italien, dans la banlieue Nord de Paris, en ZEP, c’est-à-dire une « zone d’éducation prioritaire », défavorisée du point de vue socio-économique. Les établissements où j’enseigne, collège et lycée, ont une population d’élèves multiculturelle et assez hétérogène : certains sont très capables, d’autres ont beaucoup de difficultés ; tous conditionnés, d’une façon ou d’une autre, par un environnement défavorisé. L’école se trouve dans une petite ville, Saint-Ouen, dans laquelle il y a du trafic de drogue, du trafic d’armes, du racket…de plus, en face de notre collège, il y a des trafiquants qui cherchent à contaminer les jeunes et à les enrôler comme trafiquants. Dans ce contexte, l’école a un rôle très important non seulement celui de transmettre les connaissances et les compétences mais aussi d’être le lieu où les élèves ont la possibilité de faire des expériences positives qui soutiennent leur formation humaine. D’habitude, ce sont les enseignants au tout début de leur carrière qui sont envoyés dans ces écoles ; à peine ont-ils acquis les points suffisants – normalement au bout de 3- 4 ans – ils demandent leur changement et vont dans des écoles moins difficiles. J’aurais pu faire de même, mais j’ai décidé de rester et, de fait, je suis là depuis 12 ans. Je reste parce que dans cette école je ne risque pas de tomber dans la routine ; je dois constamment trouver des idées nouvelles, des intérêts nouveaux pour motiver les élèves et leur apporter – car je pense que c’est justice – la même qualité d’enseignement que reçoivent les élèves des meilleures écoles de Paris. Après les premières années pénibles, je sais comment me comporter et accueillir mes élèves ; j’ai appris à avoir avec eux un rapport pacifique et constructif, cela en instaurant  un dialogue aussi avec leur famille. Je peux également aider mes jeunes collègues qui abordent cette réalité et qui sont novices : certains s’écroulent psychologiquement (il n’est pas rare de trouver une collègue qui pleure dans la salle des professeurs), d’autres renvoient continuellement les élèves difficiles devant le conseil de discipline… Il est important, du fait de mon expérience, d’être présente à cette souffrance des collègues, de la partager et de les aider à surmonter les difficultés qu’ils rencontrent. Au début, pour moi aussi, ça a été dur. Il m’est arrivé d’être insultée par les élèves. Une fois, j’ai garé ma voiture – une panda rouge – trop près de l’école et les élèves, ayant compris que c’était la voiture d’un professeur, me l’ont démolie à coups de pied. Là, je ne savais plus comment me comporter, je n’étais pas préparée à affronter cette agressivité, je me mettais sur la défensive en réagissant d’une façon trop sévère ou parfois d’une façon trop permissive. Peu à peu j’ai appris. Maintenant je me sens prête à affronter cette agressivité, je sais comment aider mes collègues à la dominer, je sais comment rétablir le calme en classe. Il faut du temps pour trouver la façon juste de communiquer avec les élèves, qui fait qu’ils se sentent respectés et en même temps pose des limites sans jamais couper la relation. Et aussi trouver des moments et des lieux pour suivre les élèves qui, par leur comportement indiscipliné, manifestent une souffrance ou une difficulté. Je pense à Sidi qui a un petit frère handicapé et qui habite avec 6 frères, que la maman élève seule. En 6ème , c’était un très bon élève… maintenant – en 3ème – il n’est plus motivé : il s’est trouvé à devoir affronter des problèmes trop grands pour lui, à devoir s’occuper de son frère handicapé tandis que la maman travaillait toute la journée. J’ai cherché à l’aider à sortir de cette souffrance permanente. Je l’ai encouragé à donner le meilleur de lui en classe. Je disais à une collègue : «  il est important que nous cherchions à ne jamais perdre patience avec lui. Nous ne savons pas si ce que nous faisons aura un résultat positif mais l’important est d’être sûres d’avoir fait tout ce que nous pouvions. » Notre regard devant ces élèves en difficulté doit être positif et nous ne devons pas perdre espoir d’obtenir le meilleur d’eux, en leur faisant confiance. Je pense que notre attitude à leur égard est fondamentale pour qu’ils surmontent leur difficulté. En classe, je cherche à ne pas leur faire perdre de vue que je suis là pour les faire grandir intellectuellement et culturellement et que j’attends d’eux qu’ils donnent le meilleur d’eux-mêmes. Je cherche à encourager la participation. Au début de l’année, je pose des règles : personne n’a le droit de se moquer des autres quand ils parlent. Peu à peu s’instaure une atmosphère de respect mutuel où chacun est libre de s’exprimer.  Dans ce climat de participation active et de valorisation, si quelqu’un cherche à s’en démarquer, il se sent vite isolé du reste de la classe et comprend qu’en agissant ainsi il ne donne pas une image positive de lui. Ils comprennent que la valeur d’un cours dépend de moi mais aussi d’eux s’ils s’engagent à y participer activement pour arriver à communiquer dans une autre langue. Du point de vue didactique, j’appuie mon enseignement sur des projets culturels interdisciplinaires qui se concrétisent chaque année par un voyage d’étude – financé par les organismes officiels : municipalité, Conseil Général, banques mais aussi par des petites activités au cours de l’année ; ceci afin de faire vivre aux élèves des expériences culturelles en dehors de l’école. Beaucoup d’entre eux sont dans des situations de souffrance entre les quatre murs de l’école mais si nous les emmenons en dehors, ils deviennent d’autres personnes, expriment toutes leurs possibilités. Je pense, par exemple, à Yanis. En classe, il est très passif. En parlant avec lui, je suis arrivée à savoir  que dès l’école primaire, les enseignants et même son père lui avaient dit qu’il n’était bon à rien et il a fini par y croire : quand il arrive en classe, il devient amorphe. En Sicile, où nous sommes allés cette année pour notre voyage de classe, je me suis rendu compte que cet élève a énormément d’intérêts… par exemple, il est passionné d’électronique. En classe, alors qu’il déteste l’Histoire, en Sicile, il s’est montré fasciné par le théâtre grec de Taormina ainsi que par l’aqueduc romain de Syracuse. J’ai vu qu’il était très sensible à la beauté artistique et très réceptif à cette pédagogie de la découverte culturelle. Son comportement durant tout le voyage a été exemplaire. Certains enseignants pensent qu’il n’est pas possible d’emmener ces élèves en voyage en dehors de l’école. Au contraire, je dis : « Si nous ne les faisons pas sortir de leur ambiance qui les conditionne, les juge et les marginalise, comment pouvons-nous les éduquer autrement ? » Les voyages, selon moi, sont un moyen de leur faire vivre de belles expériences, de fraternité qui contribuent aussi à rehausser leurs aspirations, à les faire voler plus haut. Par ailleurs, je m’occupe d’orientation. Je cherche à leur faire comprendre que quelque soit l’orientation qu’ils prendront, ils doivent envisager l’excellence. Ainsi, j’ai accompagné dans son orientation Maxime, qui voulait devenir cuisinier et je lui ai dit : « Tu as la chance d’avoir les idées claires sur ce que tu veux faire ; c’est rare. C’est pourquoi tu dois être ambitieux et envisager une excellente formation » J’ai fait la demande à la « rue Ferrandi », une des meilleures écoles de cuisine de Paris, à la sortie de laquelle toutes les portes sont ouvertes. Il a été accepté. Ce fut une grande joie ainsi que pour sa mère, séparée. Quand il est venu m’annoncer cette belle nouvelle, Maxime m’a dit : « Je créerai des recettes… et une recette sera un ‘Tiramisu Amoroso’ (mon nom de famille). Certes, moi aussi, je rencontre parfois des difficultés en classe, il me semble que je n’arrive à rien changer ; les moments de découragement sont humains. Par contre, j’ai la preuve tangible, certaines fois, que les relations construites portent du fruit. Je pense, par exemple, à Youssef qui m’a fait désespérer durant ses années de collège ; il était une provocation permanente, il interrompait continuellement le cours par des demandes impertinentes et par des attitudes  de supériorité apparente parce qu’il avait de l’argent (qu’il se procurait de façon illicite). J’ai craint le pire pour lui. Mais il avait un grand amour pour sa mère et j’ai cherché à avoir une relation avec elle qui, avec moi, se désespérait, pleurait. Cette générosité dans l’accueil de sa famille l’a profondément touché. Dans les commissions disciplinaires, nous ne nous sommes jamais résignés à l’expulser ; nous avons fait tout ce que nous avons pu. Maintenant, je le retrouve au lycée, profondément changé, motivé par le désir d’être un bon élève. Je ne suis plus son enseignante, mais quand je l’ai rencontré, il y a peu de temps, il m’a dit : « Restons en contact, parce que pour moi votre amitié est fondamentale », tout en m’offrant des petites pyramides en cristal de sa terre d’origine, l’Egypte. Toujours avec l’objectif d’offrir un enseignement de qualité, j’ai proposé, il y a trois ans, de créer des classes bilingues. Nous proposons, dès la 6ème, la possibilité d’apprendre deux langues (d’habitude cela n’est possible qu’à partir de la classe de 4ème). Le but de ce projet est de réunir tout le corps enseignant, de proposer des projets interdisciplinaires et de faire participer les enfants et les familles à la vie culturelle et scolaire. Ce qui m’a aidée durant ces années a été le fait de partager les responsabilités. Surtout avec les collègues. J’ai un bon rapport avec la plupart de mes collègues du collège ainsi que du lycée. Il est important d’écouter, de parler, de partager les expériences positives et aussi les négatives. J’ai appris à ne pas voir les résultats tout de suite. Dans certains cas, les résultats ne se voient qu’avec le temps. Mais, même quand un élève ne change pas, il est important de croire en lui et de l’accompagner. Ne pas s’arrêter à ce qui ne va pas mais accueillir tout le positif qui est en lui et avoir sur lui un regard, une attitude et des attentions qui le valorisent et le gratifient. (Maria  Amata – Francia)

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