En direct de Alep : Après le tremblement de terre, les actions de secours

 

Alep, le 11 février 2023

Cela fait déjà cinq ans que je partage le sort de la population ici à Alep. Au début, il y avait encore un nouvel espoir après un long conflit, et puis est venue la chute radicale dans l’abîme avec tous les problèmes comme le chômage, la perte des liens familiaux par la mort et la fuite des personnes, les maladies physiques et psychiques, l’inflation et la pauvreté, mais surtout, depuis environ deux ans, un désespoir collectif.
Personne pratiquement n’a de chauffage, de mazout, il y a peu d’électricité, pas d’essence… On manque de tout.
Avant-hier, j’ai voulu commencer la journée par un café, mais toujours pas de gaz ! Un verre d’eau a donc suffi…
Et puis cette nuit terrible, où chacun a été confronté à ses plus grandes peurs, la mort devant soi — un tremblement de terre comme il n’y en avait pas eu ici depuis 200 ans. Les images sur Internet et dans les médias en disent plus long que les mots. Totalement bouleversé, après un bref moment de prière, je me suis rendu avec Domingos à l’école des Salésiens. Mardi matin déjà, des dizaines de personnes étaient enveloppées dans des couvertures dans le hall d’entrée. Un lieu où ils avaient trouvé refuge et sécurité. Mais à ce moment-là, nous n’étions pas encore conscients de ce qui nous attendait dans les heures et les jours à venir. Nous subissions des secousses qui nous plongeaient constamment dans une nouvelle angoisse. La mort dans l’âme, sous une pluie battante, nous nous sommes rendus dans le centre-ville pour nous faire une idée de la catastrophe. Sur le chemin, partout des toits et des balcons écroulés, des voitures détruites, des lignes électriques arrachées, puis, dans le centre, les premières maisons complètement effondrées. Des centaines de personnes se tenaient là, silencieuses, car sous les décombres se trouvaient de nombreuses victimes ensevelies, dont une de mes connaissances, un prêtre qui avait déjà perdu un oeil à cause de la guerre. J’étais bouleversé. Les sirènes des ambulances hurlaient dans le silence…
Que faire ? Comment aider dans une situation aussi terrible? Dans le centre-ville, le jour même ce sont d’abord les nombreuses églises qui ont accueilli des centaines de personnes. Lors de notre première visite dans la ville, nous ne nous étions pas rendu compte que de nombreux bâtiments risquaient encore de s’effondrer. Ils avaient déjà dû supporter les bombardements… Comme ils craignaient de voir leur maison s’effondrer, beaucoup ont fui — souvent sans leurs biens — pour se mettre à l’abri quelque part.
Dans le bâtiment scolaire des Salésiens, 400 personnes avaient déjà trouvé refuge après quelques heures. La communauté franciscaine, qui dispose d’un grand terrain à l’extérieur de la ville, a accueilli plus de 2000 personnes. La communauté mariste a également offert un abri à plus de 1000 personnes et a installé une cuisine de campagne où des centaines de personnes ont été nourries. Au bout d’un jour, des matelas et des couvertures étaient déjà arrivés. On m’a dit qu’ils étaient entrés dans le pays par le Liban. Il y avait des gens partout : ils parlaient entre eux, les enfants jouaient au baby-foot ou au basket, d’autres restaient dans les dortoirs. « Heureusement que nous sommes encore en vie », c’est l’expression que nous avons entendue à plusieurs reprises. Mais j’entendais aussi le désespoir de ne plus pouvoir rentrer chez soi.
En tant que psychothérapeute, j’ai été contacté par des personnes dont les enfants ne parlaient plus ou ne voulaient plus rentrer chez eux. J’ai donc décidé d’organiser une réunion informative sur le thème du traumatisme, au cours de laquelle les personnes pouvaient parler de leurs craintes ou simplement écouter. En fait, tout le monde voudrait oublier, refouler le choc qu’il a vécu, alors que celui-ci est très profond. 300 personnes ont participé à ce premier rassemblement… De plus, des actions d’aide spontanées ont été lancées, des visites de personnes âgées, etc. Aucune distinction n’a été faite entre les religions et les communautés.
Quelle forme peut prendre l’aide organisée en Syrie dans cette situation catastrophique ?
J’ai reçu énormément de demandes à ce sujet, provenant de nombreux pays.
Depuis plus de 11 ans, le Mouvement des Focolari mène une quinzaine de projets et d’opérations de secours à Homs, Hama, Damas, Alep, Banias, Tartous et Lattaquié : Nous fournissons une assistance de base aux familles (nourriture, soins médicaux, éducation des enfants, logement, etc.), nous avons créé 5 centres d’éducation pour enfants et jeunes, dont 2 centres pour enfants gravement handicapés, 2 projets pour les personnes souffrant de maladies chroniques (cancer, insuffisance rénale, etc.) ou qui doivent être opérées, 5 centres d’éducation pour enfants et adolescents, dont 2 centres pour enfants gravement handicapés, un projet de physiothérapie à domicile pour des personnes avec des mutilations ou des handicaps dus à la guerre, une formation professionnelle d’aides ménagères pour les personnes âgées et une formation au métier de plombier, des cours de broderie et de cuisine. Ces projets sont principalement financés par les fonds de l’AMU pour un monde uni (environ 2 millions d’euros en 11 ans) et dans une moindre mesure également par l’AFN-Action des familles, Missio, l’OEuvre missionnaire pour les enfants, l’Aide à l’Église en détresse et d’autres donateurs étrangers. De cette manière, nous avons réussi, en tant que Mouvement, à créer environ 200 emplois et à aider plus de 10.000 personnes.
Le programme de micro-crédit « Restart », lancé il y a deux ans, aide à la création d’emplois en fournissant à plus de 50 personnes des équipements et de l’accompagnement techniques et de l’aide à la motivation : le but est qu’elles parviennent ainsi à organiser leur vie de manière autonome, qu’elles puissent vivre de leur travail.
Pour se faire une idée de la situation actuelle, un observateur de l’ONU s’est récemment rendu sur place et s’est entretenu avec des participants (souvent des Musulmans) à nos cours et à d’autres organisations. En tant que co-responsable actuel du Mouvement des Focolari en Syrie, il m’a été demandé si nous pouvions organiser un programme d’aide pour les victimes du tremblement de terre qui soit mis en oeuvre de manière coordonnée et professionnelle par le biais de notre groupe de travail Seeds of hope, avec le soutien et le suivi de notre organisation humanitaire l’AMU (Azione per un Mondo Unito) en Italie, qui travaille avec AFN dans le domaine de la coopération au développement pour l’ensemble du Mouvement des Focolari.
L’AMU, notre partenaire italien, nous a familiarisés avec toutes les procédures et les détails d’un programme d’aide d’envergure. Toutes les actions, les projets et les dépenses sont enregistrées, de sorte que les partenaires peuvent être sûrs que nous agissons de manière transparente et, nous l’espérons, efficace, et ce sans devoir faire trop d’efforts d’organisation supplémentaires. Une autre garantie est le fait que l’AMU est officiellement reconnue par l’Agence italienne de coopération au développement. Elle répond à toutes les exigences de transparence des autorités européennes et est en mesure de fournir un retour d’information à toutes les personnes qui souhaitent apporter leur contribution.
Par où commencer ?
En tant qu’organisation ecclésiastique, nous jouissons d’une certaine confiance sur place et disposons d’un bon réseau.
Aujourd’hui, nous avons commencé à évaluer la situation des victimes et de la population, à recenser les besoins afin de pouvoir les distinguer et les répertorier. Ainsi par exemple, dans presque tous les appartements, les lampes et la vaisselle étaient cassées, dans d’autres ce sont les meubles.
Comme des fissures sont apparues dans toutes les maisons, il faut vérifier la stabilité structurelle de tous les bâtiments. Les premiers experts ont accepté de visiter les maisons et de vérifier leur état. Cette première intervention doit être poursuivie. Les informations recueillies seront ensuite utilisées pour développer des programmes dans différents domaines, comme :
— les soins médicaux : opérations nécessaires (par ex. pour les cas actuellement fréquents de problèmes cardiaques) ;
— l’éducation à la santé ;
— les services de soins ambulatoires ;
— l’aide pharmaceutique pour les patients atteints de cancer :
— le soutien psychosocial : gestion de l’anxiété et du stress ;
— les soins pour les personnes âgées ;
— la réparation de l’appartement (des experts sont présents pour effectuer la réparation en quelques semaines) ;
— le soutien à l’école et aux études ;
— l’aide dans les démarches administratives.
Alors que l’accent est actuellement mis sur les besoins urgents tels que le logement et la nourriture, une nouvelle phase va bientôt commencer. Ici, ce ne sont pas les émotions qui sont demandées, mais de l’intelligence, du professionnalisme et de la coopération avec les différents partenaires. Toute aide est la bienvenue.
Indépendamment de cela, toute organisation étrangère qui choisit d’intervenir avec de petits projets, peut établir un contact sur place (p. ex. via Seeds of Hope).
C’est avec une certaine inquiétude, mais aussi avec confiance, que nous envisageons ces nouveaux défis qui ne pourront être relevés qu’avec le soutien d’autres organisations et de l’empathie de nombreuses personnes.
Personnellement, je suis tout à fait conscient de la complexité de la situation actuelle. Bien que je mène une vie hors de la zone de confort en Syrie, cette vie est épanouissante. Je dois cependant dire que le pays est fortement impacté par l’embargo imposé. C’est pourquoi il y a depuis des années une pénurie de gaz, d’essence, de mazout, d’électricité, etc. Beaucoup d’ustensiles de la vie quotidienne manquent : il est par exemple impossible de trouver des câbles électriques, sans parler du matériel médical.
À l’heure où j’écris ces lignes, certaines de mes connaissances sont déjà en route pour distribuer de la nourriture dans une école et fournir des soins médicaux aux enfants. Hanaa visite en ce moment la commune de Lattaquié, où les destructions sont énormes.

Bernard Keutgens
Mouvement des Focolari Syrie

Azione per un Mondo Unito ONLUS (AMU)
IBAN: IT 58 S 05018 03200 0000 1120 4344
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Mentionnez :”Emergenza Terremoto Medio Oriente / (Urgence Tremblement de terre Moyen Orient)
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