Accompagner maman, malade d’Alzheimer

 

Il y a des moments où la vie et la mort se côtoient, le Ciel et la Terre se touchent. Des moments sacrés où tu es saisi par le mystère de la mort qui te dépasse infiniment, des moments d’éternité. Quand la vie de maman s’en est allée comme un souffle, comme une bougie qui s’éteint, j’étais là, incapable de dire un mot. Quelle chance d‘avoir un de mes frères à côté de moi ! Nous nous sommes étreints, dans les larmes.

L’héritage de maman

Quoique je vive à 250 km de la maison de repos où maman a vécu ces dix dernières années, j’ai pu l’accompagner les six derniers jours de sa vie et j’en suis vraiment reconnaissante. J’ai également pu être à ses côtés avant et au moment du « départ » vers la rencontre définitive avec Celui qui a orienté toute sa vie. Une expérience forte qui en fin de compte m’a donné une grande paix et si j’ose le dire, une joie profonde. Je me suis sentie soutenue par les prières de beaucoup d’amis, et par l’empathie et le souci de l’autre qui étaient la note dominante des rapports en famille. Je pense que la source de l’amour qui régnait entre nous et autour de nous est à chercher du côté de maman qui nous a fait don de ce qui lui tenait le plus à cœur toute sa vie durant : l’unité de la famille. Une unité qui contient les diversités dans une harmonie supérieure.

Une maladie terrible

Ma mère a souffert de la maladie d’Alzheimer pendant plus de douze ans. Une maladie qui s’approprie peu à peu la personne, ses facultés cognitives (la mémoire, le raisonnement), motrices, réactionnelles, linguistiques…

Maman était devenue très faible et fragile, elle qui avait été une femme énergique, entreprenante, indépendante. La voir ainsi nous faisait très mal. Elle était alitée depuis plus de deux ans, apparemment incapable de communiquer. Qui sait si elle se rendait compte de notre présence occasionnelle qui voulait être un humble retour d’amour gratuit, à ce visage et corps réduit à bien peu de chose, à l’image de Jésus crucifié et abandonné. Partager un temps avec elle, en parlant, chantant, priant, en caressant son front, ses joues, ses mains était pour moi comme une prière.

Une des dernières fois que j’avais été chez elle, je me sentais poussée à lui demander pardon pour toutes les blessures et souffrances que j’avais pu lui causer. Et à lui accorder mon pardon. Un de ces moments de partage au-delà des mots qui restent gravés dans le cœur.

Aller vers un moins – ou vers un plus ?

 

Pendant longtemps j’ai eu la joie de communiquer avec maman par des choses toutes simples mais exquises. Au téléphone par exemple quand on lui passait l’écouteur, je lui disais que j’allais lui envoyer un bisou sur sa joue droite (ou gauche) et je lui demandais s’il était arrivé. Son « oui » me faisait chaud au cœur. Puis même cela, il fallait y renoncer.

Alzheimer, comme bien d’autres maladies graves, fait faire un chemin d’ascèse au malade et à ses proches. Il s’agit d’accepter de décliner, et cela ne va pas de soi. Dans la mesure où l’on consent à ce travail de purification intérieure, une dimension nouvelle s’ouvre, celle d’un rapport comblant l’âme et le cœur. Je l’ai vu dans ma belle-sœur qui est fidèlement allée voir maman chaque semaine, dans la plupart des membres du personnel qui entouraient maman et avec qui s’établissait une complicité.

Le sacrement des malades

Et maintenant elle ne prenait plus aucun liquide, depuis bientôt 5 jours. D’un commun accord avec mes frères, j’ai demandé au prêtre de la paroisse s’il pouvait t’administrer le sacrement des malades. Il est vrai, tu l’avais déjà reçu dans le passé, mais si tu avais pu parler, tu l’aurais certainement voulu. Ce fut un moment très fort : dans la chambre les deux frères et moi, une belle-sœur et deux nièces. Nico, prêtre focolarino, a trouvé des mots à la fois simples et essentiels. Tout le temps qu’il était à côté de toi, tes yeux bleus ont bougé de droite à gauche, alors que d’habitude ils étaient rivés au plafond. Et au moment de l’onction tu as commencé à toussoter, sans raison apparente, comme si tu voulais dire quelque chose.

Laisser partir l’autre

Ces derniers mois et jours où maman a pu bénéficier des soins palliatifs, j’en ai découvert la beauté. Ainsi, à un certain moment, maman a tout simplement cessé de respirer, tout doucement.

Une Célébration de la Résurrection

Et la messe des funérailles a couronné le tout : une église vaste et lumineuse, le prêtre qui trouvait les mots qu’il fallait pour une famille dont tous les membres ne sont pas croyants, 25 membres de la chorale paroissiale, un violoniste et organiste – maman aimait la musique classique -, deux compositions de tournesols et gerberas rouges et jaunes, devant et sur l’autel, en souvenir du jardin magnifique de maman, une présentation des traits marquants de sa vie, les intentions, une méditation de Chiara, ces textes étant lus par des membres de la famille.

Personnellement je suis convaincue qu’à la Résurrection nous aurons tous recouvré la santé du corps, en pleine réalisation du dessein d’amour de Dieu sur chacun. Et ce dans une éternelle dynamique de don et de communion.

Chris, Luxembourg

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