Larmes salées – Pietro Bartolo et l’homme derrière le migrant

 

Quelques extraits d’un article publié dans Nieuwe Stad 2022-3

« Guérir les blessures du corps est mon travail. Je fais de mon mieux pour soulager la douleur. L’une de mes préoccupations, cependant, est que je n’ai pas les moyens de guérir les blessures de l’âme. » C’est ce qu’écrit Pietro Bartolo, le « médecin des migrants » de Lampedusa dans « Lacrime di sale », publié en néerlandais sous le titre « Tranen en troost » (Larmes et réconfort), un livre émouvant et magnifique. Lampedusa est une petite île de la Méditerranée, située entre la Sicile, Malte et la Tunisie, connue pour l’arrivée des migrants des côtes libyennes.

[…] Depuis vingt-huit ans, le docteur Bartolo s’occupe des nombreuses personnes qui débarquent sur le quai de Lampedusa. Et il tient à les appeler « personnes », malgré les nombreux noms utilisés pour les décrire, a-t-il déclaré à 2021 : « À présent, ils ne savent plus comment les appeler : immigrants illégaux, migrants, réfugiés, migrants économiques, réfugiés climatiques ou même flux de migrants comme s’il s’agissait d’un fleuve. Au lieu de cela, ce sont juste des gens, des femmes, des hommes et des enfants. »

[…] Depuis 2019, il est membre du Parlement européen (au sein du groupe S&D, l’Alliance progressiste des socialistes et des démocrates) : « Parce que je crois en la politique comme un service, avec un grand P, le genre de politique qui se fait avec le cœur, avec passion, honnêtement ; et parce que je crois que la politique européenne devrait apporter ces réponses au phénomène migratoire. »

La lecture de « Larmes et réconfort » m’a profondément touché. Je voulais inviter le Dr Bartolo à rencontrer mes élèves à l’Institut Don Bosco, une école technique et professionnelle à Bruxelles. Avec les élèves de sixième et de septième année de formation professionnelle, nous avons lu le livre ensemble, regardé des extraits du documentaire « Fuocoammare » et préparé une interview. Parmi leurs nombreuses questions, nous en avons sélectionné quelques-unes que nous avons envoyées au Dr Bartolo : « Est-il préférable d’aider ces personnes dans leur propre pays ou de les laisser commencer une nouvelle vie en Europe ? Pourquoi les autorités européennes n’envoient-elles pas des navires pour secourir les migrants sur les bateaux ? Vous avez soigné tant de personnes, ce qui est très courageux, mais lorsque vous rentrez chez vous, n’êtes-vous pas également blessé, brisé mentalement ? Comment prenez-vous soin de vous ? »

Cette rencontre du 21 mai 2021 a été le point culminant de l’année scolaire pour certains élèves. Un étudiant non croyant, Stephen, avait posé une question à laquelle il n’a pas été possible de répondre par manque de temps : « Quelle est la place de Dieu dans toute cette injustice et cette inhumanité ? Où est le Dieu de ces gens ? » Dans « Larmes et réconfort », Pietro Bartolo écrit : « On m’a souvent demandé si je ne vacillais pas parfois dans ma foi en un Dieu qui permet toute cette douleur. Dieu ? Qu’est-ce que Dieu a à voir avec ça ? Ce sont les gens qui causent tout cela, pas Dieu. Des gens avides, impitoyables, qui ne croient qu’en l’argent et le pouvoir. Et je ne parle pas de ceux qui organisent le trafic d’êtres humains.

Je parle de ceux qui rendent tout cela possible, de ceux qui veulent que le reste du monde vive dans la pauvreté, de ceux qui alimentent, soutiennent et financent les conflits. Le problème, c’est l’homme, pas Dieu. »

Malgré le silence des médias, qui se concentrent entièrement sur la guerre en Ukraine et la pandémie, nous continuons à regarder les gens perdre la vie en Méditerranée en essayant de rejoindre l’Europe sur des bateaux dangereux. Je me souviens de la terrible pertinence des mots du pape François lors de sa visite à Lampedusa en juillet 2013, lors de son premier voyage en tant que pape en dehors du Vatican :  » La culture du bien-être, qui nous pousse à penser à nous-mêmes, nous rend insensibles aux cris des autres « . (…) Dans ce monde de la globalisation, nous sommes tombés dans la globalisation de l’indifférence. Nous nous sommes habitués à la souffrance des autres, ce n’est pas notre affaire, ce n’est pas notre affaire ! ».

À la fin de la rencontre, le Dr Bartolo a lancé un appel émouvant aux jeunes : « Nous devons trouver le chemin de l’humanité. Nous devons ouvrir nos cœurs et réaliser qu’il s’agit de personnes et que nous devons toujours mettre les personnes au centre. Se fonder sur les valeurs universelles d’accueil, de fraternité, d’amour, de respect, de respect des droits de l’homme, de respect du droit à la vie. Car ce sont ces valeurs qui donnent un sens à nos vies. »

Après la rencontre, de nombreux jeunes m’ont confié avoir vécu très intensément et avec beaucoup d’émotion ce moment d’échange, un de ces moments où l’école prend tout son sens en tant que lieu où se construit une relation éducative authentique, qui va au-delà de la simple transmission de connaissances techniques.

Valerio Aversano

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