« Monsieur, la pêche? »

 

Depuis sept ans, je travaille comme enseignant dans une école de Bruxelles. J’y donne cours de religion catholique et de sciences humaines. Lors de mon premier jour d’enseignement en cinquième année, un étudiant me demande après ma brève introduction : « Pensez-vous vraiment que votre leçon nous intéresse ? » Voilà pour l’ « accueil chaleureux ». Pas vraiment encourageant, même si un tel épisode reste une exception. Depuis, je me rends compte qu’en plus de la qualité de ma préparation, le succès d’une leçon dépend principalement de la qualité de la relation que je construis chaque jour avec mes élèves.

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Jan a 19 ans et je le connais depuis sa cinquième année d’études professionnelles. Il ressemble à une rock star et a de longues boucles. Dès notre première rencontre il y a trois ans, au début de chaque leçon, il me serre la main et me demande avec un grand sourire : « Monsieur, la pêche ? » Cela signifie : tout va bien avec vous? Je décide de jouer le jeu et au début de chaque leçon je réponds à sa question. Peu à peu, les questions et réponses deviennent un peu routinières. Jan travaille sérieusement et il est très impliqué dans les leçons. Peu à peu, je découvre un peu plus sa vie. Il s’avère être non seulement un blagueur, mais aussi un garçon très sensible. Il explique que ses parents sont divorcés, qu’il vit avec sa mère et que sa relation avec son père et ses frères n’est pas facile. Cependant, il ne se plaint pas et n’est jamais négatif.

Il y a deux ans, je n’étais plus son professeur de religion, mais nous sommes restés en bon contact. Un jour, je le retrouve dans l’escalier. J’essaie de le devancer et de dire, « Ah Jan, la pêche? » À ma grande surprise, il répond : «non». Il me dit qu’il n’est pas venu à l’école pendant deux semaines parce que sa mère a été euthanasiée à la suite d’une tumeur. Aveuglé par la douleur et le chagrin, il voulait tout abandonner, y compris l’école. Mais le même jour que je l’ai rencontré dans l’escalier, il s’était couché sur son lit et s’était demandé comment il allait continuer. Il a décidé alors de retourner à l’école pour ne pas compromettre son année scolaire. J’ai été très touché par ses paroles et lui ai dit que j’admirais sa volonté et son courage et que j’étais sûr que sa mère était très fière de lui. Alors que les larmes coulaient sur son visage, il m’a remercié. Je lui ai dit qu’il pouvait compter sur moi et les autres enseignants.

L’année dernière, Jan était de retour en classe avec moi pour sa septième et dernière année à notre école. Sa situation familiale ne s’est pas améliorée. Il vit maintenant avec ses frères, mais ils ne s’entendent pas. Chacun mène sa propre vie sans trop d’intérêt pour l’autre. Ils vivent sous le même toit, mais ils ne mangent même pas ensemble. Un jour, il me demande si la sienne est une famille ou pas. L’année scolaire touche rapidement à sa fin. Sa poignée de main est toujours accompagnée de la question : « La pêche ? »

Le jour de la proclamation arrive. En me saluant, il me remercie pour mes leçons et me demande : « Avez-vous lu mon évaluation ? » Quelques jours avant il m’a en effet donné une feuille avec quelques impressions de mon cours, y compris ce passage : « C’est avec vous que nous avons la vraie opportunité de nous développer, de débattre et de partager, dans un grand respect les uns pour les autres ». Il ajoute qu’il aimerait rester en contact avec moi. Et je lui dis que j’adorerais cela aussi.

Bien sûr, il est important d’essayer d’enseigner de son mieux. Mais il est tout aussi important d’écouter les jeunes, de s’intéresser véritablement à eux et de les apprécier en ayant une vision positive et toujours nouvelle de chacun d’eux. Ce n’est que si nous essayons d’être «un» avec chacun d’eux, comme Chiara Lubich l’a dit, en partageant leurs joies et leurs souffrances, que nous pouvons entrer dans leur monde, dans leurs histoires, et ils créent par conséquent une véritable relation de confiance, la seule façon de retrousser les manches ensemble et aller de l’avant.

Valerio Aversano

(traduit du néerlandais à partir de Nieuwe Stad 2019 n° 4)

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