De Namur à Kinshasa : histoire d’une maternité

 

Il y a quelques années, j’ai reçu un mail d’un membre du mouvement des Focolari de Kinshasa me signalant qu’un gynécologue congolais arrivait en Belgique pour parfaire ses études. Il me demandait de l’aider. Ce médecin est pour moi un frère et il a fait le choix de rester dans son pays pour soigner la population locale.

Quand Arthur est arrivé, il avait avec lui quelques vêtements plutôt adaptés au climat congolais et il n’avait pas beaucoup d’argent. Avec la communauté, nous avons cherché un logement et rassemblé des vêtements, nous lui avons donné de quoi se nourrir, se déplacer et couvrir les autres frais indispensables.

Un soir nous avions une réunion à la maison et Arthur était présent. Je sens que je dois me soucier de sa santé et je lui demande : « Arthur, tu as mangé aujourd’hui? » et il me répond : « J’ai mangé une tartine ce matin».  Aussitôt mon épouse lui a préparé un repas.

Au moment de partir, je constate qu’il n’a pas de veste, alors qu’il faisait très froid.  Devant mon étonnement, il me dit : « non, non, ça va ». J’étais touché par le fait qu’il ne voulait pas peser et j’ai compris que je devais anticiper. Mais même pour des Belges, il faisait froid. Comme j’avais 2 vestes, j’ai pu lui en donner une.

La deuxième partie de sa formation devait se dérouler dans un hôpital à Liège.  Les déplacements étaient longs et coûteux. J’ai donc cherché quelqu’un de la région de Liège qui pouvait m’aider à trouver un logement. Un des nôtres a hébergé Arthur pendant 3 semaines.

Puis le futur gynécologue a découvert le dépôt de HSF (Hôpital sans Frontières) où il y avait 5000 m² de matériel médical déposé par les hôpitaux. Pour lui, c’était la caverne d’Ali Baba ! Son intention était de construire une nouvelle maternité à Kinshasa, avec comme objectif que tout le monde puisse être accueilli, que les patients sachent payer leur séjour ou pas afin que tous puissent être soignés dans de bonnes conditions.

Auprès de  ‘AMU Action pour un Monde Uni’ du Grand-Duché de Luxembourg, il avait trouvé un financement pour la construction des murs, mais pas pour l’équipement. L’AMU est une ONG créée il y a 25 ans avec pour base les valeurs du mouvement des Focolari. C’était donc la réponse du ciel pour lui.  Mais les formalités pour obtenir le matériel étaient longues et compliquées.

Pour moi, c’était une période difficile, car je souffrais d’un cancer et devais suivre un traitement médical lourd ; je n’avais plus beaucoup de forces.  Mais je repensais aux femmes et enfants que ce matériel pouvait sauver, je les avais dans le cœur et cela m’a poussé à continuer et à chercher une solution.

Pour réduire les frais administratifs, je devais trouver des sponsors. Ensuite il fallait trouver une filière d’exportation sécurisée. Grâce à l’Ordre de Malte, nous avons pu faire voyager le matériel sous la protection diplomatique, et les 75 m³ de matériel (en 3 expéditions) sont arrivés à bon port.

Néanmoins, il y avait les frais de transport. Un ami de notre mouvement, directeur d’une école, a organisé un grand souper au profit du projet d’Arthur. Avec les dons et le bénéfice du souper, nous avons pu payer le coût du transport des containers.

Arthur nous disait : « Quand je suis parti, on m’a dit : tu vas voir, en Europe personne ne va t’aider !  Et bien aujourd’hui je peux dire que ce n’est pas vrai, car j’ai trouvé ici des frères et des sœurs qui m’ont accueilli, aidé et permis de mettre en place ce projet humanitaire pour le plus grand bien des femmes et enfants congolais. » Il faut savoir qu’au Congo, à chaque heure il y a 2 femmes qui  meurent dans les accouchements, faute de prévention et de soins.

La maternité a pu ouvrir ses portes et tout de suite les accouchements ont eu lieu.

Après quelques mois, Arthur m’envoie un mail : « Nous avons eu 150 accouchements et 151 naissances (il y avait des jumeaux). Tous les enfants et toutes les mamans sont en bonne santé. » Il a continué à nous donner régulièrement des nouvelles.

Et la situation a continué jusqu’à ce 28 août 2018. Un énorme silo à grains construit presque contre l’hôpital s’est éventré. Des milliers de tonnes de grains se sont déversés sur le centre médical et la maternité. Une personne a été tuée et une autre gravement blessée. Une grande partie du bâtiment et du matériel médical ont été détruits. Comme toutes les canalisations étaient bouchées, impossible de faire redémarrer même une partie de l’hôpital. Et bien sûr il n’y a pas d’assurance pour couvrir les dégâts et le personnel n’a pas droit au chômage.

C’était le plus grand souci d’Arthur : comment faire pour que les 50 personnes qui y travaillaient puissent subvenir à leurs besoins?

J’ai posé la question au gestionnaire du centre : « Allez-vous redémarrer ? »

Il m’a répondu : « Nous n’avons pas le choix, nous sommes poussés par nos patients.  Pour donner un exemple : le jour de la catastrophe une femme était dans la maternité et le travail pour l’accouchement avait commencé.  Nous avons voulu la transférer dans une autre maternité. Mais elle voulait accoucher dans le centre Mowi Mwa Ntongo, et c’est ce qu’elle a fait.  Ce centre représente tellement pour tous nos patients que nous devons continuer. A la grâce de Dieu pour la suite. »

Aux dernières nouvelles, l’hôpital a pu redémarrer à 30% de sa capacité.

Un crowdfunding (une recherche de fonds par internet) a été lancée par une Britannique, sensible au projet.  Après quelques jours on avait récolté environ 4500€ (sur les 25000€ indispensables à court terme). Un compte spécial a été ouvert en Allemagne au nom de la congrégation des Pères Scheutistes pour recevoir des dons.

Au Grand-Duché de Luxembourg, l’AMU négocie avec le gouvernement luxembourgeois pour ouvrir un nouveau dossier pour la reconstruction et une première aide d’urgence de 100.000€ a été octroyée.

En Belgique aussi nous avons ouvert un compte pour recevoir les dons : BE52 1431 0589 5409. Les fonds qui seront récoltés serviront soit pour l’achat et le transport du matériel vers Kinshasa, soit seront versés sur le compte du centre médical Moyi Mwa Ntongo pour les frais de réparation et les frais du personnel.

Durant son passage en Belgique en janvier-février 2019, Arthur a choisi le matériel dont il a besoin.   Grâce aux dons et aux sponsors, nous avons pu expédier 60 m³ de matériel médical, dont un kit secours qui lui permet de pratiquer une opération ou un accouchement n’importe où. Le container est parti le 23/5/2019.

La situation sur place reste complexe, mais avec le soutien de tous les frères et amis, nous pouvons regarder l’avenir avec confiance.

Paul Croon

 

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