Faisons le point sur la fraternité

 

Roberto Catalano, du Centre pour le Dialogue interreligieux des Focolari (Rome), nous offre une lecture du contexte, du parcours historique et géopolitique qui a accompagné la rédaction du document historique sur la Fraternité humaine pour la paix et la vie commune, co-signé par le Pape François et l’Imam d’al-Azhar, Ahamad al-Tayeb à Abu Dhabi, le 4 février dernier.

La fraternité universelle est-elle encore un objectif prioritaire pour l’humanité ? Quelle valeur a-t-elle à une époque dominée par les empreintes digitales, les frontières personnelles et collectives toujours plus tranchées, les nouveaux protectionnismes économiques et ainsi de suite ? La déclaration d’Abu Dhabi signée par le pape François et l’imam d’al-Azhar début févier 2019 remet la fraternité au centre de l’échiquier géopolitique et médiatique : le ton clair et concret du document-déclaration propose la fraternité comme un objectif pour toute la famille humaine et pas seulement pour les religions chrétienne et musulmane. Roberto Catalano nous explique le contexte et le parcours de cette étape fondatrice du dialogue pour la paix mondiale.

Quelle est la valeur de la déclaration signée par le pape François et l’imam al-Tayeb à Abou Dhabi le 4 février dernier ?
Le document sur la fraternité représente un jalon et propose un texte qui restera un paradigme de référence. Il est impossible de ne pas reconnaître sa valeur profondément novatrice. Une fois de plus, nous sommes confrontés à une « première absolue » de la part du Pape Bergoglio. Jamais auparavant dans l’histoire de l’Église un pape avait signé un document commun avec un dirigeant d’une autre religion. La signature s’est déroulée dans un contexte précis, caractérisé par des accolades, des discours, des déplacements main dans la main des dirigeants de l’Eglise catholique et d’al-Azhar. Le texte commun interpelle non seulement les chefs religieux et les experts, mais aussi tous les croyants et les habitants du monde.

Les Emirats Arabes sont représentatifs de ce monde globalisé : la péninsule arabique est le cœur de l’Islam mais elle compte aussi une présence croissante de travailleurs d’autres pays et cultures….
Abu Dhabi, capitale des Emirats Arabes Unis et lieu de la signature du document, est le dernier prolongement de la péninsule arabique. Tous ces Etats ont une signification importante tant sur l’échiquier de l’économie que sur celui de la géopolitique. En quelques décennies, la possession de pétrole a permis un progrès vertigineux grâce à une main d’œuvre provenant de pays comme les Philippines, l’Inde, le Pakistan, le Bangladesh.

La péninsule arabique est le cœur de l’Islam mais elle est une véritable mosaïque musulmane. Le Royaume saoudien est dominant, l’image de l’Islam sunnite qui s’identifie au wahhabisme, qui soutient également le salafisme au niveau international.
Face à tout cela, on assiste à un nouveau phénomène de communauté chrétienne. Alors que les Églises chrétiennes traditionnelles et apostoliques du Moyen-Orient vivent des moments dramatiques qui forcent souvent les chrétiens à fuir, la région des Émirats est peuplée par un nouveau christianisme, un véritable échantillon du christianisme d’aujourd’hui. La majorité des catholiques sont philippins et indiens, mais ils proviennent aussi du Moyen-Orient.
Nous sommes dans la période de la mondialisation et l’Église dans les Émirats en est l’une des expressions les plus caractéristiques.

Le 800ème anniversaire de la rencontre entre François d’Assise et le sultan Malik al-Kamil a été évoqué lors du récent voyage du pape François au Maroc. Ce pape semble avoir entrepris une sorte de « pèlerinage de paix »….

C’est vrai. Abu Dhabi s’insère dans cet anniversaire, comme le signe du souhait d’être « un frère qui cherche la paix avec ses frères  » pour « être des instruments de paix ».
La déclaration du Concile Nostra Aetate déclare « qu’au cours des siècles, de nombreux désaccords et inimitiés sont apparus entre chrétiens et musulmans » et, par conséquent, le Concile les a exhortés « à oublier le passé et à exercer sincèrement la compréhension mutuelle ainsi qu’à défendre et promouvoir ensemble pour tous les hommes la justice sociale, les valeurs morales, la paix et la liberté ».

En 2006, à Ratisbonne, une citation de Benoît XVI avait provoqué un contentieux douloureux et complexe avec le monde musulman. Beaucoup avaient perçu la phrase citée par Ratzinger comme une offense au Coran même si elle faisait référence à la relation entre foi et raison et entre religion et violence. Une saison plutôt orageuse s’était ouverte durant laquelle l’Université d’al-Azhar avait interrompu ses contacts avec le Vatican.

Dans les années qui suivirent, avec une grande patience diplomatique, les relations se sont rétablies, inspirées à l’Evangelii Gaudium qui, après avoir défini le dialogue interreligieux comme un « devoir pour les chrétiens comme pour les autres communautés religieuses » (EG 250), avait affirmé la pertinence des relations entre chrétiens et musulmans.

Enfin, en mai 2016, l’Imam al-Tayeb était au Vatican. Son commentaire à chaud était significatif : « Nous reprenons le chemin du dialogue et nous espérons qu’il sera meilleur de ce qu’il était auparavant ». La réponse au geste d’accueil de François n’a pas tardé à venir. En 2017, l’Imam a accueilli le Pape François au Caire, l’invitant à une Conférence internationale pour la paix. A cette occasion, le Pape, après avoir affirmé avec force que « seule la paix est sainte et qu’aucune violence ne peut être perpétrée au nom de Dieu car elle profanerait son Nom », a proposé trois orientations qui « peuvent aider au dialogue : le devoir d’identité, le courage de l’altérité et la sincérité des intentions ». Une profonde compréhension spirituelle entre les deux chefs religieux s’est progressivement développée.

 

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